La matinée de travail de Natacha Barnes avait été plus ou moins normale, si tant est que l’on fasse abstraction de sa petite consommation discrète d’alcool. Hormis cela, tout s’était déroulé normalement. Cédrick Schwartz, le chef du service markéting, sortit de la salle de conférence plus de trois heures après le début de la réunion. Son visage à ce moment était alors livide, comme si toute son énergie vitale lui avait été retirée. Quiconque le croisait juste après ne pouvait s’empêcher d’imaginer à quel point l’expérience qu’il venait de traverser avait été stressante. Heureusement pour lui, et pour son emploi également, cela se déroula sans accroc. Il se retrouva donc allégé d’un certain poids, même si d’autres tâches tout aussi stressantes l’attendaient devant.
La montre affichait désormais 13h34. Herman Invictus et les autres membres du conseil d’administration ne sortirent pas de la salle de conférence immédiatement après la fin de la réunion. Ils y restèrent afin de discuter de quelques petits détails vis-à-vis des prochaines actions qu’ils allaient entreprendre, notamment leurs futures opérations d’acquisition des parts de nouvelles sociétés à fort potentiel qui s’apprêtaient à rentrer en Bourse. Leur attention était plus précisément focalisée sur une petite entreprise portant le nom d’Olympus. Son président-directeur général, Elijah Fujitora, avait une stratégie efficace et remarquable qui lui avait permis de faire croire sa compagnie à un rythme impressionnant, si bien qu’en à peine un an et demi, son chiffre d’affaires dépassait aisément le milliard.
- Disposons-nous de quelconques informations que nous pourrions utiliser contre ce Fujitora ? demanda mademoiselle Homes.
- J’ai bien peur que non. Que ce soit sur le plan personnel ou professionnel, il semblerait que tout chez lui soit correct, répondit Herman.
- C’est justement parce que tout semble correct que nous devons approfondir nos recherches. Nous possédons tous une part de nous-mêmes que nous voulons cacher aux autres et il ne fait pas exception à la règle, déclara monsieur Wrightway Sr.
- Vous avez certainement raison, mon cher ami. Personne n’est exempt de vice, rajouta l’homme d’affaires.
- Surtout une personne parmi nous, s’exclama soudainement Jennifer.
Mademoiselle Homes lança par la suite un regard à la seule autre femme présente dans la pièce. Cette dernière, n’appréciant du tout pas ce qu’elle venait d’entendre, lui demanda d’exprimer le fond de sa pensée.
- Et elles recommencent ! rétorqua Johan Yens qui était resté majoritairement silencieux tout au long de cette réunion.
- Si mes propos n’ont pas été assez clairs, alors je ne peux rien pour toi, déclara de nouveau mademoiselle Homes.
- Montgolfière ! s’exclama soudainement Alice Nicolay en faisant bien évidemment référence à la fausse poitrine de son interlocutrice.
- Qu’est-ce que tu viens de dire ?! demanda Homes.
- Tu m’as parfaitement entendu, répondit la jeune femme.
Alors qu’une scène était sur le point d’éclater entre les deux actionnaires, un bruit soudain résonna du côté du plus âgé d’entre eux. Ce dernier venait tout juste de frapper le bout de sa canne contre le sol.
- Mesdemoiselles, ce n’est ni le moment ni le lieu de s’adonner à ce genre de comportement. Nous avons des choses beaucoup plus importantes à accomplir. Mettez donc de côté votre animosité. Me suis-je bien fait comprendre ? rétorqua calmement monsieur Wrightway Sr.
Devant l’attitude calme, mais autoritaire de l’homme, les deux femmes n’eurent d’autre choix que de l’écouter. Elles s’échangèrent néanmoins un dernier regard hostile, ce qui ne manqua pas d’amuser légèrement monsieur Invictus.
- Bien ! La réunion peut donc se poursuivre, dit de nouveau l’homme à la canne à tête de serpent.
La réunion durant laquelle les membres du conseil d’administration discutaient des stratégies à adopter vis-à-vis du propriétaire de la société Olympus se poursuivit jusqu’aux alentours de 14h45. Il fut donc décidé de lancer une enquête approfondie sur ce dernier afin de trouver un possible point faible à exploiter. Une fois cela fait, alors qu’il était temps pour eux de se séparer, mademoiselle Nicolay proposa de finir l’après-midi au restaurant. Monsieur Wrightway Sr dut refuser la proposition, prétextant qu’il avait d’autres occupations dont il devait s’occuper juste après. Il excusa donc auprès d’eux.
- Tu n’as pas t’excuser, mon ami. Nous comprenons parfaitement, rétorqua Herman Invictus.
L’homme raccompagna celui qu’il considérait comme une figure paternelle jusqu’aux cages d’ascenseur. Il lui souhaita alors de passer un excellent après-midi et de réussir tout ce qu’il entreprendrait. Wrightway Sr lui retourna le compliment, puis les deux hommes furent séparés par les portes de l’ascenseur. Herman Invictus retourna par la suite auprès de ses amis, mais s’arrêta d’abord chez ses deux secrétaires.
- Mademoiselle Harlock ! s’exclama-t-il en voyant Tess.
- Oui, monsieur ! répondit-elle.
- Où est passée votre collègue ? questionna l’homme par la suite.
- Elle se trouve présentement dans les commodités pour femme, dit la demoiselle.
- Peu importe. J’ai immédiatement besoin d’une réservation pour 7 au Bender, ordonna-t-il.
- Je m’en occupe tout de suite, rétorqua la jeune femme en décrochant le téléphone devant elle.
Au moment où l’homme d’affaires s’apprêtait à retourner auprès des membres du conseil d’administration, Natacha revint de son petit tour des toilettes, son thermos en main. Herman trouva alors que la demoiselle était légèrement différente. Il ne savait pas exactement pourquoi, mais quelque chose chez elle n’allait pas. Elle ne réfléchit cependant pas très longtemps là-dessus et partit en direction de la salle de conférence. Alors que les deux passaient l’un à côté de l’autre, Herman Invictus lâcha un petit sourire narquois avant de murmurer un « demain soir » qui immobilisa immédiatement la jeune femme. Mademoiselle Barnes resta dans cette position durant de nombreuses secondes, encore choquée par ce qu’elle venait d’entendre. Elle savait très pertinemment ce que cela signifiait et s’imaginait par la même occasion les horribles choses qu’il allait lui demander de faire.
Tess Harlock, qui venait tout juste de composer le numéro de téléphone du restaurant, observa la scène avec une certaine curiosité. Elle se demandait notamment ce qu’avait bien pu dire son patron pour mettre sa collègue de travail dans un tel état. Il lui vint ensuite à l’esprit qu’elle venait peut-être de se faire réprimander pour ses performances, ce qui ne manqua pas de la faire légèrement sourire. Bien qu’elle ne l’affichait pas publiquement, la jeune femme ne supportait pas Natacha et souhaitait que cette dernière se fasse renvoyer. Malheureusement, jusqu’à présent, son souhait ne s’était pas encore réalisé.
Natacha Barnes ferma ses yeux, prit une profonde inspiration, puis les réouvrit de nouveau. Elle marcha ensuite en direction de son poste de travail. De son côté, mademoiselle Harlock eut finalement quelqu’un à l’autre bout du fil. Elle fit donc ce qu’on lui avait ordonné et prit une réservation pour sept personnes. Son interlocuteur lui répondit que cela n’allait point être possible, que toutes les places avaient déjà été prises. Cela ne plut bien évidemment pas à la demoiselle. Il était hors de question qu’elle échoue dans la tâche qui lui avait été confiée. La jeune femme se vit donc dans l’obligation d’insister.
- Pouvez-vous me passer un responsable, s’il vous plait ? demanda-t-elle calmement.
- Madame…
Avant même qu’il ne puisse continuer sa phrase, mademoiselle Harlock lui coupa brusquement la parole et réitéra sa demande. Elle n’avait plus le temps de converser avec lui, d’autant plus que son patron et les membres du conseil d’administration s’apprêtaient à quitter de la salle de conférence et de prendre la direction du Bender. Se retrouvant dans une impasse, l’employé à l’autre bout du fil n’eut d’autre choix que d’appeler son supérieur hiérarchique et de lui passer le téléphone.
- Bonsoir ! En quoi puis-je vous être utile ? rétorqua l’homme.
- Oui, bonsoir ! J’ai pris contact avec votre établissement dans le but d’obtenir une réservation pour 7 personnes, mais votre employé que j’ai récemment eu au téléphone vient de m’annoncer que toutes vos places ont déjà été occupées. Ce serait vraiment fâcheux que monsieur Invictus ait à choisir un autre restaurant, déclara mademoiselle Harlock.
Alors que le responsable l’écoutait, son attention se concentra sur le nom qu’elle venait tout juste de prononcer. « Invictus ! » à sa connaissance, il n’y avait qu’une seule personne dans toute leur ville qui portait un tel nom, et c’était bien l’individu auquel il pensait, alors il valait mieux pour lui et pour l’entièreté de son établissement d’être en de très bons termes avec lui.
- Mademoiselle…
- Harlock ! poursuivit la jeune femme.
- Mademoiselle Harlock, il semblerait qu’une erreur dans notre système ait poussé notre employé à vous transmettre une information erronée. Notre établissement dispose actuellement de nombreuses places libres et nous serons très ravis d’accueillir monsieur Invictus et son groupe parmi nous. À quelle heure monsieur compte-t-il nous rejoindre ? déclara l’homme.
- Dans une trentaine de minutes, rétorqua de nouveau la jeune femme.
Le manager et mademoiselle Harlock réglèrent les dernières formalités vis-à-vis de la visite de l’homme d’affaires et des membres du conseil d’administration, puis elle raccrocha. La jeune femme se leva ensuite de son siège, lança un dernier regard à Natacha Barnes qui travaillait tranquillement sur son ordinateur, puis pressa le pas en direction de la salle de conférence.
—–*—–
Lorsque Herman Invictus revint dans la salle de conférence, la tension entre Alice Nicolay et Jennifer Homes était toujours palpable. Les deux femmes ne s’adressaient pas la parole, mais se lançaient constamment des regards vicieux. Comme précédemment, il ne pouvait pas s’empêcher de trouver cette situation pour le moins drôle. Hormis cela, tout était pour le moins normal. Les frères Wingston se trouvaient dans un coin et discutaient de divers sujets de conversation. Johan Yens s’entretenait avec madame Homes tandis que Richard Flayman parlait tranquillement avec l’autre femme présente de la pièce.
- C’est vraiment dommage que Wrightway ne puisse être présent avec nous. J’aurais tellement voulu aborder certains sujets avec lui, dit Flayman à Invictus quand il rentra dans la pièce.
- C’est regrettable en effet. Quoi qu’il en soit, mademoiselle Harlock est présentement en train de nous prendre une réservation. Elle ne devrait plus tard, rétorqua l’homme d’affaires.
Moins de deux minutes après que Herman Invictus rentre dans la salle de conférence, sa secrétaire y pénétra à son tour. Cette dernière lui dit alors que leur réservation avait été confirmée. L’homme la remercia, puis l’invita à regagner son poste. Elle s’excusa donc auprès de lui, ainsi qu’auprès des membres présents du conseil d’administration et quitta la pièce.
- Mesdames ! Messieurs ! Il semblerait que de délicieux mets nous attendent, rétorqua une nouvelle fois l’homme d’affaires.
- Enfin ! Je commençais à avoir faim ! s’exclama mademoiselle Nicolay.
- Tu n’es pas la seule, rajouta un des frères Wingston.
- Nous pouvons donc y aller, dit une fois de plus monsieur Invictus.
Les membres restants du conseil d’administration quittèrent les uns après les autres la salle de conférence, suivirent l’homme d’affaires en direction des cages d’ascenseur et montèrent tous à l’intérieur. Quand les portes se refermèrent, Herman Invictus appuya sur le bouton pour se rendre au rez-de-chaussée du bâtiment. Il sortit par la suite son téléphone portable de la poche intérieure de sa veste et composa un numéro. Cela sonna trois fois avant que quelqu’un à l’autre bout du fil ne décroche.
- Gordon ! Sortez la voiture s’il vous plait. Je serai devant le bâtiment dans quelques minutes, dit-il.
- Bien monsieur ! répondit son interlocuteur avant de mettre fin à l’appel.
- Ta politesse ne cessera jamais de m’étonner, rétorqua madame Homes.
- Surtout sachant de quoi il est capable, rajouta Henry Wingston.
Tout le monde se mit alors à rire du commentaire que venait de faire l’un des frères Wingston.
- Mes chers amis ! Vous savez très pertinemment que nous devons nous montrer uniquement respectueux envers ceux qui nous sont utiles et ceux en qui nous avons confiance, déclara l’homme d’affaires tout en affichant un sourire narquois.
Un silence s’installa soudainement parmi les membres du conseil d’administration tandis qu’ils essayaient de savoir dans quelle catégorie l’homme présent devant eux les avait mis. Finalement, les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, laissant tout le monde sortir.
Six personnes habillées formellement étaient stationnées devant les luxueux véhicules des membres du conseil d’administration. Une septième voiture, celle d’Herman Invictus, vint compléter la collection. Un homme, lui aussi vêtu de manière très formelle, en sortit et vint également attendre son patron. Lorsque ces sept individus aperçurent leurs employeurs, ils ouvrirent les portières arrière des voitures avec une synchronisation surréaliste.
- On se retrouve donc tous au restaurant, rétorqua mademoiselle Nicolay avant de monter dans sa voiture.
- À tout de suite, dit Richard Flayman.
Chacun étant désormais dans son véhicule, chaque chauffeur fit le tour de ce dernier afin d’aller s’installer derrière le volant.
- Où allons-nous, monsieur ? questionna Gordon une fois installé.
Herman Invictus lui donna le nom du restaurant et son adresse, et le chauffeur prit la direction de ce dernier.
A suivre !!!
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