Harvester inspira profondément avant d’expirer de la même manière. Elle décroisa ses mains, ouvrit ses yeux, puis se releva. Avant de sortir de sa chambre, elle effectua une très longue série de tractions sans pour autant verser une seule goutte de sueur. Dès qu’elle termina son exercice, la jeune femme se retrouva en équilibre sur ses deux mains. Elle poussa alors un coup sec puis se retrouva sur ses pieds après avoir exécuté une magnifique acrobatie.
La jeune femme quitta sa cabine et retourna au poste de pilotage. Une fois sur place, elle s’assit sur le siège pilote puis vérifia à nouveau leur destination. Il leur restait approximativement une heure avant d’arriver devant Sulfhur. Une fois qu’elle eut vérifié cela, elle se tourna vers l’emplacement dans lequel Gadriel avait inséré le disque octogonal contenant Eve.
- Montre-toi ! Je sais que tu es là, s’exclama-t-elle sur un ton très autoritaire.
La femme numérique apparut quelques instants plus tard dans un petit flash de lumière.
- Alors, c’est toi qui m’observais tout à l’heure lorsque je me rendais dans mes quartiers.
Comme précédemment, la jeune femme était effrayée à la simple vue d’Harvester. De ce fait, elle évitait tout contact visuel direct avec elle.
- N’aie crainte, je ne te ferai aucun mal. Je veux juste te poser quelques questions, ajouta la Scythe.
Cependant, même si elle venait de le lui dire, cela n’empêchait pas Eve de ressentir le danger que la personne se trouvant devant elle représentait.
- Que voulez-vous savoir ? lui demanda-t-elle avec beaucoup de nervosité dans le ton de sa voix.
- Le gamin, des phénomènes étranges se sont-ils déjà déroulés en sa présence ?
- Qu’entendez-vous par phénomènes étranges ?
- Majoritairement des variations dans les flux d’énergie autour de lui.
- Non, rien de tout ceci n’est jamais arrivé. La seule chose notable chez lui est le fait qu’il fasse des cauchemars, rien de très anormal surtout après tout ce qu’il lui ait arrivé.
En effet, il n’y avait rien d’anormal à faire des cauchemars, surtout après avoir vu sa mère mourir sous ses yeux et été torturé pendant plusieurs jours. Harvester restait cependant très sceptique vis-à-vis du garçon et de ce qu’elle avait ressenti pendant un bref moment chez lui. Si la femme numérique qui l’avait vu grandir n’avait aucune réponse à ses questions, alors elle allait les poser aux personnes qui l’avaient envoyée sur Exoduus, mais la Scythe devait d’abord déposer Gadriel à sa nouvelle demeure.
—–*—–
Lorsque le jeune homme ouvrit les yeux, il constata que la vue lui était plutôt familière. En effet, ce ne fut qu’après quelques secondes qu’il se rendit compte que le plafond qu’il regardait n’était pas celui de la cabine du vaisseau spatial dans lequel il était censé se trouver, mais celui de sa chambre.
- Comment est-ce possible ?! se questionna-t-il en se levant brusquement.
Gadriel regarda tout autour de lui et n’eut aucun doute, il se trouvait bel et bien dans sa chambre.
- Non ! Ce n’est pas possible. Je me souviens parfaitement de tout, Jessabiel, Reigns, Harvester, les affrontements, le feu…tout cela s’est produit. Un rêve, ça ne peut être que ça. Je suis en train de rêver.
Comme toute personne se trouvant coincée dans un rêve et voulant se réveiller, l’adolescent se pinça tout d’abord le bras. Voyant que la douleur ne lui procurait pas l’effet escompté, il décida par la suite de se donner plusieurs gifles sur le visage. Après avoir littéralement eu les joues en feu et remarqué qu’il se trouvait toujours dans sa chambre, Gadriel en conclut que tous les récents événements n’avaient été qu’un très long cauchemar duquel il venait d’émerger.
Alors que le jeune homme se remettait progressivement de sa douleur faciale, il entendit une personne l’appeler au rez-de-chaussée. Dès l’instant où il reconnut le son de cette voix, des larmes de joie commencèrent à couler de ses yeux. Ni une, ni deux, Gadriel se précipita à l’extérieur de sa chambre pour confirmer si c’était bien la personne à qui il pensait. Lorsqu’il arriva au niveau des escaliers, il la vit. Elle était là, debout devant lui, l’appelant avec sa douce voix.
- Gadri…, sa mère n’eut même pas le temps de finir de prononcer son nom que celui-ci se précipita dans ses bras.
- Est-ce que tu vas bien mon chéri ? lui demanda sa mère qui remarqua ses larmes.
Gadriel qui la serrait dans ses bras se souvint alors d’une scène à peu près similaire. Il la poussa donc brusquement, mais rien ne se produisit.
- Gadriel, quelque chose ne va pas ? questionna-t-elle à nouveau face au comportement étrange de son fils.
Aucune trace de sang sur ses mains ni de trou dans son estomac. Elle était tout à fait normale.
- Gadriel ?
- Oui ! Désolé maman, juste un mauvais souvenir qui a refait surface. Rien de bien grave. »
Elle accepta les explications de l’adolescent sans rien demander de plus puis l’invita à venir manger. Celui-ci la suivit sans rechigner dans la salle à manger.
Gadriel était heureux, tout ce qu’il avait vécu récemment semblait être de lointains souvenirs. Il profitait des moments que la vie lui procurait. Il dégustait son plat préféré en compagnie de sa mère, que demander de plus.
- C’est très tellement bon. J’ai l’impression de ne pas avoir aussi bien mangé depuis des lustres.
- J’suis contente que cela te plaise. En veux-tu encore ? lui demanda-t-elle.
Le jeune homme répondit positivement et lui tendit son assiette. Cette dernière la saisit et le servit à nouveau avant de retourner nettoyer ses ustensiles de cuisine.
L’adolescent prit un énorme morceau et l’introduisit dans sa bouche. Néanmoins, tandis qu’il machait fermement ses aliments, quelque chose de très dur se fit sentir. Il ouvrit donc légèrement sa cavité buccale, y mit ses doigts, et retira l’objet. Quelle horreur se fut pour lui de découvrir qu’il s’agissait d’une dent humaine. Il la laissa tomber et recracha le contenu de sa bouche sur la table pour constater avec effroi ce qu’il était sur le point d’avaler. Il y avait de la chaire cru et également quelque chose qui ressemblait à un œil. Tout le contenu de son assiette avait changé.
Gadriel bondit de sa chaise après avoir poussé un hurlement. Un sentiment de dégoût suivi de nausées s’empara de lui. Il mit sa main devant sa bouche, mais finit malheureusement par déverser alors tout le contenu de son estomac à même le sol. Tout d’un coup, la salle à manger qui était lumineuse jusqu’à présent prit une teinte beaucoup plus lugubre.
- Qu’est-ce qu’il y a mon chéri ? Tu n’aimes pas ce qu’il y a dans ton assiette ? lui demanda sa mère qui retournait lentement.
À mesure que celle-ci se déplaçait pour faire face à Gadriel, son visage ainsi que l’intégralité de son corps changeaient. Lorsqu’elle se retourna complètement, l’horreur et l’effroi se firent plus intenses dans l’expression faciale du jeune homme. Sa mère n’était plus qu’un amas de chairs en décomposition infestées de vers et diverses larves. Elle tenait dans sa main gauche une arme blanche recouverte de sang et un visqueux liquide s’échappait du trou qu’elle avait au niveau de son estomac.
- Chéri, viens faire un câlin à maman comme tout à l’heure. Tout ira mieux par la suite.
La chose contournait lentement la table de la salle à manger. Gadriel, cependant, n’attendit pas qu’elle soit en face de lui. Il prit ses jambes à son cou et quitta la pièce en courant. Arrivé dans le séjour, il se dirigea naturellement vers la porte d’entrée et tenta de l’ouvrir. Cette dernière ne se déverrouilla malheureusement pas.
- Eve ! Ouvre la porte ! S’il te plaît, Eve ! cria-t-il tout en tirant la poignée de toutes ses forces.
Aucune réponse ne provint de l’intelligence artificielle qui gérait sa maison. Il essaya donc d’ouvrir la porte en donnant plusieurs coups avec son épaule, avec son pied, et même en jetant des objets tels qu’une chaise dessus, mais rien ne fonctionna. Elle restait toujours fermée et n’affichait même aucune trace d’impact. Il lui fallait trouver une solution au plus vite. Une chance pour lui, la créature qui en avait après lui se déplaçait lentement.
S’il ne pouvait sortir en empruntant la porte, alors il allait passer par la fenêtre. L’adolescent fonça sans réfléchir vers l’une des ouvertures de sa maison. Il sauta, espérant qu’en combinant son élan et sa masse corporelle il parviendrait à briser la vitre. La réalité fut cependant toute autre. Avant même qu’il ne puisse l’atteindre, celle-ci fut mystérieusement remplacée par un mur qui, sans surprise, remporta le duel contre Gadriel.
Le jeune homme s’affala honteusement à même le sol. Une forte douleur parcourut tout son corps, ce qui était tout à fait normal.
- Qu’est-ce qui s’est passé ? Où est passée la fenêtre ? se questionna-t-il.
Il se releva difficilement puis tâta la surface devant lui. Aucun doute possible, il ne s’agissait pas d’une illusion. L’ouverture s’était bel et bien volatilisée.
- Chéri, viens faire un câlin à maman. Pourquoi t’éloignes-tu de moi ? dit la créature dès qu’elle pénétra dans la pièce où se trouvait le jeune homme.
- Ma chambre !
Gadriel pensait pouvoir se réfugier dans sa chambre. De plus, vu que les fenêtres avaient tendance à disparaître, une pièce possédant une seule entrée et sortie semblait beaucoup plus prometteuse. Il monta donc les escaliers à vive allure, mais à peine arriva-t-il au milieu que ceux-ci se volatilisèrent également. Il s’en suivit une nouvelle chute à même le sol.
- Pourquoi t’éloignes-tu de moi ? Tu n’aimes plus ta petite maman adorée ?
- Va-t’en ! Ne t’approche pas de moi ! » hurla fortement le jeune homme tandis qu’il rampait à même le sol.
Sa mère, du moins ce qui semblait être sa mère s’arrêta brusquement d’avancer. Elle se mit ensuite à trembler puis agrippa fermement l’objet qu’elle tenait dans sa main.
- Comment oses-tu parler à ta mère sur ce ton ? Après tout ce que j’ai subi par amour pour toi, les séances de torture, l’immolation, tout ça pour quoi ? Pour que mon propre fils refuse de me faire un stupide câlin !
Elle se précipita sur lui et commença à l’entailler avec son couteau. Gadriel se débattit de toutes ses forces, mais il ne put rien faire face à cette femme qui était beaucoup plus lourde que lui. Du sang, des vers, et autres substances se mirent à valser dans toutes les directions en même temps que les cris de douleur jeune homme.
- Maman ! Arrête s’il te plaît, je t’en supplie, dit-il tout en crachant du sang.
Elle ne l’écouta pas et poursuivit son horrible action. Elle leva son bras gauche bien haut pour qu’il puisse bien appréhender ce qui allait se passer par la suite.
D’un geste aussi puissant que rapide, la lame du couteau traversa la peau et la chair de Gadriel, et transperça son cœur. La douleur physique qu’il ressentit à ce moment n’était en rien comparable à celle que lui avait infligée Jessabiel, mais le fait qu’elle lui soit administrée par sa propre mère changeait la donne. Il avait mal, très mal. La dernière chose qu’il vit en fermant ses yeux pour la dernière fois fut le visage brûlé de sa mère qui pleurait et souriait en même temps.
—–*—–
Gadriel se leva en sursaut de son lit. Il transpirait comme une personne venant de courir un marathon. Il regarda vite fait bien fait autour de lui et constata avec un très grand soulagement qu’il se trouvait à nouveau dans sa cabine. Bien qu’il fût content que cela ne fût qu’un rêve, il s’inquiétait néanmoins du fait qu’ils empiraient de jour en jour. Si cela continuait ainsi, il se pourrait qu’il ne puisse plus jamais fermer l’œil de toute sa vie.
Le jeune homme se leva de son lit et se dirigea vers la salle de bain. Là, il retira ses vêtements imbibés de sueur ainsi que son bracelet de stockage, puis fit couler de l’eau sur lui. Il ne sortit de là qu’une vingtaine de minutes plus tard. Une fois son bain terminé, il enfila une nouvelle tenue propre et retourna dans sa chambre. Ce ne fut qu’à cet instant qu’il remarqua la partie sombre sur son lit. Il décida donc de changer les draps de peur qu’Harvester ne pense que ce dernier aurait mouillé son lit.
La pièce étant désormais propre, Gadriel la quitta pour se rendre au poste de pilotage. Arrivé sur place, il rencontra Harvester qui était assise dans un des sièges.
- Je vois que tu t’es réveillé, lui dit-elle avant même qu’il ne mette un pied dans la pièce.
- Comment vous…
- Ça n’a pas d’importance. Nous allons bientôt arriver devant Sulfhur.
- À quoi ça ressemble ? Eve m’a dit que cette planète avait disparu depuis des milliers de cycles. N’allons-nous pas nous retrouver devant le vide ?
- Tu le verras bien assez tôt.
Harvester ne donna pas plus d’explication et l’invita à d’asseoir, car, contrairement à l’accélération, la décélération était un tantinet brutale. Gadriel accepta donc son invitation et attacha sa ceinture. Le compte à rebours sur l’écran de contrôle n’affichait plus que quelques secondes. Lorsqu’il atteignit 0, tous les traits lumineux que l’on pouvait apercevoir tout autour du vaisseau disparurent et le corps du jeune homme fut brusquement attiré vers l’avant. Si la Scythe ne l’avait pas prévenu, il aurait été violemment projeté sur la vitre. D’ailleurs, il se rendit également compte que s’il n’avait été réveillé par son cauchemar, il l’aurait sûrement été par ce phénomène.
Devant eux s’affichait une planète très lugubre. Celle-ci se trouvait dans une zone très éloignée de son étoile, donc sa lumière lui parvenait à peine. De plus, on ne pouvait distinguer sa surface à cause d’étranges nuages qui la recouvraient entièrement.
- Comment est-ce possible ? D’après mes données et aux dernières nouvelles, cette planète n’existe plus, s’exclama soudainement Eve qui venait d’apparaître.
- C’est normal que vous pensiez tous ça. Sulfhur est une planète libre cyclique. Personne ne sait exactement ce qui s’est produit, mais l’hypothèse la plus probable est qu’un phénomène inhabituel s’est produit sur cet astre, la séparant de son étoile et l’envoyant errer à divers endroits de l’univers. Tous les cinq cycles, elle revient à sa position initiale pendant quelques jours.
- Je comprends. Toutefois, je n’arrive toujours pas à appréhender le but de notre venue ici.
- Tout sera révélé lorsque nous aurons atterri.
Harvester entama donc la procédure d’atterrissage. Lorsque la navette s’approcha à une certaine distance de Sulfhur, des éclairs rouges se manifestèrent au niveau des nuages. Ceux-ci se mirent alors à les attaquer comme s’ils étaient tous dotés d’une conscience. Les yeux de la jeune femme reprirent leur teinte jaunâtre et toutes les attaques furent miraculeusement déviées. Ils pouvaient désormais traverser l’atmosphère en toute quiétude. Qu’est-ce qui attendait le jeune garçon en ces lieux ? Réponse au prochain épisode, je pense. En fait non, j’en suis quasiment sûr.
À suivre !!!
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