Les sept jeunes gens chargés de s’occuper de l’homme d’affaires et des autres membres du conseil d’administration revinrent les uns à la suite des autres avec en main les bouteilles de vin qu’ils avaient commandées. Ils versèrent délicatement le précieux liquide rouge dans les verres se trouvant à côté de chacun des invités. Lorsque ce dernier atteignit le tiers du volume de son récipient, les serveurs et serveuses s’arrêtèrent et déposèrent les bouteilles à proximité des objets transparents.
Alors que les sept employés du Bender sortaient de la pièce après avoir été remerciés pour le service, mademoiselle Nicolay attrapa son verre de vin, puis s’adressa aux six autres personnes se tenant à ses côtés.
- Si cela ne vous dérange pas, j’aimerais porter un toast, s’exclama-t-elle.
- Et en quel honneur ? questionna Richard, surpris.
L’homme n’était pas le seul à être surpris de la soudaine prise de parole de la jeune femme, d’autant plus qu’elle semblait vouloir célébrer quelque chose alors qu’il n’y avait rien à fêter.
- Comment ça ? En quel honneur ? Nos regroupements mensuels ne méritent-ils pas d’être célébrés ? répondit mademoiselle Alice.
- Il est certes vrai que nous ne nous rencontrons tous que très peu souvent, rétorqua de nouveau monsieur Flayman.
- Avec nos emplois du temps respectifs, il est très ardu de tous nous retrouver et profiter de moments tels que celui-ci, ajouta un des frères Wingston.
- Quoi qu’il en soit, j’aimerais lever mon verre à nos futurs succès, à nos futures conquêtes, aux futures opérations ; elle lança à ce moment un regard furtif en direction des attributs d’une certaine personne présente parmi eux ; mais surtout à notre amitié ! Qu’elle puisse durer aussi longtemps que le temps qu’il nous faudrait pour être ruiné en dépensant un million de dollars par jour, déclara de nouveau la jeune femme.
Face aux propos de la demoiselle, Herman qui avait perçu la petite insulte contenue à l’intérieur ne put s’empêcher d’esquisser un petit sourire, ce qui fut également le cas des autres. La concernée voulut évidemment riposter, mais préféra se retenir, le moment n’étant pas approprié. Tout le monde attrapa par la suite son verre de vin et le leva à son tour.
- Que le futur soit nôtre ! s’exclama soudainement monsieur Invictus.
- Que le futur soit nôtre ! rétorquèrent les membres du conseil d’administration.
Ces sept importantes personnalités remuèrent délicatement leurs coupes avant de consommer le précieux liquide. Moins de cinq secondes plus tard, Alice s’exclama sur la qualité du vin qu’elle avait commandé. Selon ses dires, ce qu’elle venait d’ingurgiter était un produit de très haut standing ayant un gout fort prononcé. D’ailleurs, Richard Flayman, Johan Yens, Henry Wingston, et Jennifer Homes qui prirent la même boisson qu’elle pensèrent de même.
Contrairement aux cinq autres, Herman Invictus et Alex Wingston n’émirent aucun commentaire concernant leur Egon Muller Scharzhofberger Riesling Trockenbeerenauslese. Bien qu’il fut autant savoureux que le Domaine de la Romanée-Conti, les deux hommes trouvèrent cela inutile de lui porter des éloges, le plus important pour eux étant le plan de résistance.
—–*—–
En l’absence de leur patron, Natacha et Tess avaient pour tâches de s’occuper de l’entreprise comme il le leur ordonna. Les jeunes femmes se chargèrent donc de gérer une grande partie de l’administratif et de classer certains dossiers tels que les différents rapports des divers services par ordre de priorité. Cependant, durant leur travail, la frustration de mademoiselle Harlock vis-à-vis de sa collègue ne cessait d’augmenter. En effet, cette dernière commit de nombreuses erreurs, et continuait d’en commettre, semblait distraite, et était beaucoup plus lente que d’habitude. Il y avait par exemple eu ce moment où elle passa énormément de temps dans les toilettes pour femmes. Voulant savoir ce qui l’occupait autant, mademoiselle Harlock alla la retrouver. Elle se rendit alors compte que sa collègue se tenait immobile devant le miroir et fixait intensément une partie endommagée de celui-ci. Elle se demanda évidemment ce qui avait pu causer cela, mais préféra se concentrer sur sa collègue de travail. La jeune femme l’appela une première fois, mais sans succès. Ce ne fut qu’au bout de la troisième tentative que cette dernière revint sur terre.
- Qu’est-ce qui ne va pas chez toi aujourd’hui ? lui avait-elle demandé juste après.
- Désolée ! J’étais un peu distraite, répondit mademoiselle Barnes.
N’ayant que faire de son excuse, la jeune femme lui lança un regard contenant tout le mépris qu’elle éprouvait envers elle.
- Tu as intérêt à te remettre au travail. Je n’ai vraiment pas envie d’avoir des problèmes à cause de toi, rétorqua-t-elle avec un ton très hautain.
Mademoiselle Harlock quitta les toilettes et retourna à son poste. Avant de quitter la pièce à son tour, Natacha lança un dernier regard au miroir cassé derrière elle. De nombreuses images très déplaisantes refirent alors surface dans sa tête, lui donnant l’envie de réitérer ce qu’elle voulut entreprendre la veille. La jeune femme secoua légèrement sa tête, mit ces mauvais souvenirs de côté, puis retourna à son poste.
Alors que Natacha s’apprêtait à reprendre l’écriture de ses nombreux rapports, son téléphone portable se mit à vibrer. Elle se rendit compte qu’il s’agissait d’un message en provenance de son fiancé lorsqu’elle saisit son appareil.
« Coucou ma belle ! Je viens tout juste de finir. On se voit tout à l’heure. Bisous, je t’aime ! [émojis cœur] » était-il écrit.
« OK ! À tout à l’heure. » envoya-t-elle par la suite.
En relisant cette courte conversation, si on pouvait appeler cela ainsi, la jeune femme se remémora ce que Michael lui déclara la veille, qu’il serait toujours présent pour elle si elle venait à avoir un quelconque problème, qu’il suffisait juste qu’elle aille le voir pour en parler. Malgré ses dires, c’était une action qu’elle ne pouvait pas faire. Même si elle avait une totale confiance en Michael, Natacha ne pouvait tout simplement pas lui confier que quelqu’un avait osé souiller son corps…son être, et qu’elle s’était laissée faire, impuissante devant cet individu. Elle n’avait notamment pas envie de croiser son regard à l’instant où il viendrait à apprendre la vérité. Ce serait beaucoup trop pour elle.
La jeune femme sortit du petit monde dans lequel elle se trouvait et continua à écrire son rapport d’activités. Bien qu’elle n’avait pas apprécié la manière dont sa collègue s’était adressée à elle, il ne demeurait pas moins qu’elle avait raison. Si elle venait à ne pas compléter son document, cela risquerait d’avoir des conséquences néfastes sur elles.
—–*—–
De retour au Bender, les sept serveurs se succédèrent dans la pièce où se trouvaient Herman Invictus et les membres du conseil d’administration. Ils apportaient avec eux les exquis plats qu’ils avaient commandés. Alice Nicolay se vit confier son steak de bœuf de Kobé saupoudré d’une fine couche d’or comestible. Le plat de la demoiselle attira immédiatement l’attention des autres, plus précisément celle de Jennifer Homes qui ne put s’empêcher d’émettre un commentaire.
- Quel plat bien singulier ! J’ose espérer que tout cet or ne provoquera aucun problème de santé. Ce serait vraiment dommage qu’une femme telle que vous ait à se faire hospitaliser, déclara-t-elle avec un soupçon de sarcasme dans le ton de sa voix.
- Vous n’avez pas à vous inquiéter pour mon état de santé, ma très chère amie. C’est plutôt pour le vôtre dont on devrait s’alarmer avec toutes les opérations que vous avez subies par le passé, répondit mademoiselle Nicolay en lançant de nouveau des coups d’œil rapides aux attributs de son interlocutrice.
- Vous… !
- Mesdames ! S’il vous plait ! Ne pouvons-nous pas apprécier ce moment sans qu’il ne tourne en conflit ouvert ! intervint soudainement monsieur Flayman.
Les deux femmes se lancèrent un regard noir avant que la tension entre elles ne se calme de nouveau. Herman Invictus trouvait leurs interactions quelque peu amusantes, du moins tant que ce genre de choses ne produisait pas durant d’importants évènements. Quoi qu’il en soit, il resta une fois de plus silencieux vis-à-vis de cela et patienta d’être servi. À l’opposé des membres du conseil d’administration qui commandèrent majoritairement des plats à base de viande de mammifères, l’homme d’affaires préféra prendre quelque chose de léger en provenance de l’océan. Il demanda donc à ce qu’on lui apporte un « Oscheriyori ». Il s’agissait d’une confection assez originale de sushis et sashimis. Néanmoins, ce qui rendait la commande d’Herman Invictus assez particulière était le fait qu’elle était servie dans une assiette cubique en or massif de 3,3 Kg pour un cout dépassant largement ceux des autres. En tout et pour tout, la facture de ce charmant homme avoisinait les 200 mille dollars, une somme astronomique pour un simple repas.
- Il n’y a pas à dire, c’est le plat le plus excentrique qu’il m’ait jamais été donné de voir, rétorqua Johan Yens.
- Cela n’a rien d’étonnant. Herman a toujours été une personne extravagante, ajouta Henry Wingston.
- Je confirme ! dit à son tour son frère.
- Mais, n’est-ce pas cela qui fait son charme ? intervint mademoiselle Nicolay.
Herman Invictus lança un regard à la personne qui venait tout juste de parler, remarqua la manière dont elle le dévisageait, puis afficha de nouveau un sourire charmeur.
- Être extravagant est une manière pour nous de montrer à ceux qui nous observent que nous avons réussi là où beaucoup ont échoué. Notre opulence n’est que le résultat de nombreuses années de travail acharné, de nuits blanches, de doute, et j’en passe. Alice, tout à l’heure dans le hall, tu as dit que tout le monde m’avait reconnu. Ce n’est pas moi qu’ils ont reconnu, mais plutôt ce que je représente. Pouvoir, argent, succès, influence, terreur, je suis une incarnation de tous ces concepts. De ce fait, il est de notre devoir de nous montrer excentrique, extravagant, dépensier, mais travailleur, et ce afin de préserver l’image et l’idéal que beaucoup rêve d’atteindre.
Pendant de nombreuses dizaines de secondes, les membres du conseil d’administration restèrent silencieux devant le discours de cet homme qui attrapait ses baguettes et s’apprêtait à déguster son plat. Bien que ce qu’il avait dit témoignait d’une certaine réalité répandue à travers le monde, la manière dont il le déclara les laissa un peu perplexes. Il était évident que l’homme éprouvait une certaine aversion pour certaines classes sociales inférieures, mais il y avait également certains moments où ils avaient tous l’impression que son mépris était dirigé vers eux. Le silence qui régnait quelques secondes auparavant disparut progressivement tandis que chaque personne commençait la dégustation de ce qu’il avait commandé. C’était vraiment un regroupement d’individus assez particuliers.
A suivre !!!
Un commentaire