La petite séance au restaurant avec les membres du conseil d’administration venait tout juste de se terminer. Pendant que chacun d’entre eux se disait « au revoir » et se souhait de passer une agréable soirée avant de rejoindre leur véhicule respectif, les pensées d’Herman Invictus étaient tournées vers les diverses activités qu’il devait effectuer avant de finalement rentrer chez lui. Après avoir échangé quelques dernières politesses avec mademoiselle Nicolay et les autres, l’homme d’affaires appela son chauffeur qui amena la voiture devant le Bender quelques instants plus tard.
- Où allons-nous, monsieur ? demanda Gordon Botle après que son patron se soit installé.
- Au bureau, répondit-il.
Sans hésiter, le chauffeur démarra la voiture et mit le cap vers leur destination. Pensif durant une bonne partie du trajet, Herman sortit une fois de plus son téléphone portable de la poche de sa veste et composa le numéro d’une personne dont les initiales étaient E.D. Après deux sonneries, une voix féminine résonna à l’autre bout du fil.
- Ma parole ! Comme c’est rare de recevoir un appel de ta part. En quoi puis-je t’être utile en cette soirée ? rétorqua l’interlocutrice de l’homme d’affaires.
- Délaïla, j’ai besoin que tu fasses quelque chose pour moi, répondit Herman.
- Je t’écoute, déclara-t-elle par la suite.
Monsieur Invictus lui expliqua ensuite tout ce dont il attendait d’elle avant que cette dernière ne lui dise qu’il aurait toutes les informations qu’il désire dans les deux prochains jours.
Une trentaine de minutes plus tard, le véhicule de l’homme d’affaires arriva devant les locaux de son entreprise. Gordon sortit alors de la voiture, fit le tour de cette dernière, puis ouvrit l’une des portières arrière.
- Ne t’éloigne pas. J’en ai pour une quarantaine de minutes, dit Herman Invictus à son chauffeur.
- Oui, monsieur ! répondit l’homme.
Herman franchit donc les portes du bâtiment et fut salué quelques instants plus tard par un des gardes chargés de la sécurité. Scotché à l’écran de son téléphone, l’homme d’affaires retourna la politesse du vigile sans pour autant lever les yeux dans sa direction.
Arrivé dans son bureau, monsieur Invictus trouva une pile de dossiers posés sur son bureau. L’homme lâcha un soupir exaspérant avant d’aller s’assoir sur sa chaise. Celui-ci prit une fois de plus son téléphone portable et composa le numéro de son chauffeur personnel.
- Monsieur ! répondit Gordon après avoir décroché.
- Changement de programme. J’en aurai pour deux heures à peu près. En attendant mon prochain appel, tu es libre de vaquer à tes occupations, déclara l’homme d’affaires.
- Merci, monsieur ! dit le chauffeur avant que son patron ne mette fin à la conversation.
Herman Invictus alluma par la suite son ordinateur et attrapa un des dossiers posés devant ses yeux.
—–*—–
Le couple Barnes-Orzak venait tout juste de terminer leur repas après une longue série de questions de la part de la jeune femme. Cette dernière n’avait cessé de demander à son fiancé une description complète de la femme avec et pour qui il allait désormais travailler. Bien que Michael ne cessa de lui répéter encore et encore qu’Elène Degrâce n’était point aussi jolie qu’elle, cela était insuffisant pour Natacha. La situation du jeune homme empira lorsque cette dernière prit son téléphone portable pour faire des recherches sur cette fameuse « Degrâce ».
- C’est ça que tu dis qu’elle n’est pas aussi que moi ! rétorqua la demoiselle en lui montrant une photo trouvée sur un moteur de recherches.
- Mais bébé ! Puisque je dis qu’à mes yeux, tu es plus belle qu’elle ! dit Michael en essayant de se justifier.
Sans se faire prier, la jeune femme attrapa son assiette, se leva de table, et partit en direction de la cuisine.
- Natacha ! Natacha, écoute-moi s’il te plait ! s’exclama-t-il en voyant sa fiancée s’éloigner.
- Il n’y a rien dont nous devons discuter, déclara mademoiselle.
Orzak ne pouvait laisser cela se poursuivre. Il saisit à son tour ses couverts et alla rejoindre la jeune femme dans la cuisine où cette dernière avait commencé à nettoyer les siens.
- Bon sang ! Natacha ! Laisse-moi au moins le temps de t’expliquer ! s’exclama Michael une fois de plus.
- Il n’y a rien à expliquer, dit la demoiselle juste après.
- Écoute-moi, putain ! rétorqua le jeune homme en haussant cette fois-ci le ton.
Natacha n’en revenait pas de ce qui venait tout juste de se passer. Depuis qu’ils s’étaient mis ensemble, c’était la toute première fois qu’il osait lever la voix contre elle. Ce nouveau comportement ne lui plut bien évidemment pas, ce qui la poussa également à hausser le ton.
- D’où tu te permets de me parler de cette façon ! Je ne suis pas une enfant ! s’écria-t-elle.
- Dit-elle ! rétorqua Michael Orzak sur un ton très condescendant.
Cela ne plut une fois de plus pas à la jeune femme qui le regarda avec les yeux d’un tueur en série.
- Quoi ?! Tu vas me dire qu’en ce moment précis, tu n’as pas le comportement d’une enfant ?! Depuis tout à l’heure, j’essaie de t’expliquer quelque chose d’important, mais non ! Madame fait la sourde d’oreille et ne me laisse aucune chance ! C’est exactement comme ça que les enfants se comportent, déclara furieusement le jeune homme.
- Je ne te permets pas ! s’écria de nouveau Natacha.
- Quoi ?! Tu vas faire quoi ?! questionna Orzak.
Mademoiselle Barnes laissa échapper un grognement avant de faire tomber dans l’évier l’assiette qu’elle tenait entre les mains. Cette dernière se fissura à l’impact et la jeune femme quitta la pièce.
- J’espère vraiment que cette Degrâce et toi allez bien vous entendre ! s’exclama-t-elle une dernière fois.
Natacha retourna dans le séjour où elle attrapa ses clés de voiture et son porte-monnaie. Elle sortit de la maison quelques secondes plus tard, laissant son fiancé planté telle une statue.
- J’y crois pas ! Mais qu’est-ce qui lui prend, putain ?! rétorqua-t-il avant de partir à sa poursuite.
Malheureusement pour le jeune homme, lorsqu’il sortit de leur domicile, la voiture de sa bien-aimée ne se trouvait déjà plus devant le bâtiment.
- Merde ! s’exclama-t-il à nouveau.
Orzak retourna à l’intérieur et saisit son téléphone portable. Il composa ensuite le numéro de Natacha, mais la sonnerie de ce dernier retentit dans la chambre à coucher.
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Natacha Barnes roulait sans destination précise. Elle roulait pour s’éloigner, mais elle roulait surtout pour oublier ; oublier ce qui venait de se passer quelques minutes auparavant, oublier ce qui s’était passé les jours précédents. La jeune femme savait très pertinemment qu’elle avait eu tort de se comporter comme elle l’avait fait. Cependant, ça avait été plus fort qu’elle. En apprenant qu’une autre femme avait soudainement décidé de prendre son fiancé comme photographe attitré, une sorte de nœud se forma dans son cœur, d’autant plus que la femme en question était beaucoup plus attirante qu’elle. Après tout ce qu’elle avait subi et devait subir, Natacha n’avait vraiment pas besoin qu’une personne comme ça entre brusquement dans la vie de Michael. Mais que pouvait-elle faire pour empêcher ? Ce n’était pas comme si elle pouvait interdire à son homme de travail avec cette femme. Cela risquerait d’avoir un impact néfaste sur leur relation.
Au bout d’une trentaine de minutes, Natacha Barnes finit par arrêter son véhicule. Sans vraiment s’en rendre compte, la jeune femme avait roulé jusqu’au précipice duquel elle voulut sauter auparavant. La demoiselle sortit de sa voiture et vint se mettre devant cette dernière. Elle observa ensuite sa ville qui baignait dans un magnifique jeu de lumières multicolores tout en se remémorant l’action qu’elle avait failli commettre quelque temps auparavant.
Tandis que les minutes s’écoulaient, Natacha se mit à imaginer toute sorte de scénarios dans sa tête, des scénarios qui se seraient produits si elle avait décidé de mettre un terme à ses jours. Parmi le grand nombre, un en particulier sortait du lot. Il s’agissait d’un script dans lequel Michael se rapprochait de cette fameuse « Degrâce » après sa mort.
- Peut-être qu’il serait sorti avec cette Degrâce, se dit-elle juste après.
Étrangement, cette pensée semblait ravir la jeune femme qui se dit qu’il méritait quelqu’un de mieux qu’elle, une personne qui ne lui serait pas infidèle et qui se confierait à lui en cas de problème. Bien que la jeune femme ne voulait que le bonheur de son homme, la simple pensée de l’imaginer avec une autre était une chose qu’elle avait beaucoup de mal à supporter.
Une bonne heure s’écoula et Natacha observait toujours sa ville, cette fois-ci avec les yeux emplis de larmes. La jeune femme ne cessait de penser à ce qui l’attendait le lendemain, à ce que son patron allait à nouveau lui faire dans son bureau, au dégout qu’elle allait à nouveau ressentir. De temps en temps, elle pouvait sentir la respiration d’Herman Invictus dans son cou, ou encore ses horribles mains parcourir son corps. Il lui fallait quelque chose pour faire passer ça. La demoiselle remonta donc dans sa voiture et partit en direction de la supérette dans laquelle elle avait acheté sa bouteille de Whisky durant la matinée.
Arrivée sur les lieux, la jeune femme se rendit immédiatement dans le rayon des boissons alcoolisées où elle saisit deux bouteilles de son précieux liquide avant de se rendre à la caisse. Le garçon derrière son comptoir la reconnut immédiatement lorsqu’elle posa ses articles devant lui.
- Plus besoin de me donner votre pièce d’identité. Je l’ai déjà vue ce matin, lui dit-il en attrapant les deux bouteilles.
- OK ! répondit-elle timidement.
Tandis qu’il scannait les deux articles, le jeune homme ne put s’empêcher de remarquer la triste mine de la demoiselle. Il lui demanda par conséquent si tout allait bien, ce à quoi la demoiselle répondit que tout allait pour le mieux, qu’il n’avait guère besoin de s’inquiéter pour elle. Après un bref moment de doute, le caissier accepta sa réponse et lui dit le montant à payer. Natacha sortit une fois de plus sa carte bancaire de son porte-monnaie et la lui remit. Quelques instants plus tard, le jeune homme lui rendit ses biens.
- Eh voilà ! Bonne soirée à vous, lui dit-il au passage.
- Merci beaucoup ! Bonne soirée à vous aussi, répondit la demoiselle.
Natacha regagna son véhicule puis partit en direction de son domicile. De retour devant chez elle, la jeune femme arrêta le moteur, mais resta à l’intérieur de sa voiture. Pendant de très nombreuses minutes, mademoiselle Barnes observa la porte d’entrée de son foyer, se demandant ce qu’elle allait bien pouvoir dire comme excuse à Michael. Après quelques instants d’hésitation, Natacha se décida finalement à rentrer chez elle.
Le séjour se trouvait dans l’obscurité lorsque mademoiselle Barnes y entra. Ce ne fut qu’après avoir refermé derrière elle, allumé la lumière de la pièce, et jeté un coup d’œil à la montre du salon que la jeune femme se rendit compte qu’elle avait passé plus de deux heures dehors. Natacha se rendit ensuite dans la cuisine où elle put constater que la vaisselle avait été faite et rangée. Debout devant l’évier, elle se souvint du terrible comportement qu’elle eut envers son fiancé. Ce fut donc avec le cœur lourd que la demoiselle partit en direction de la chambre à coucher.
Dans la chambre, Natacha vit Michael couché sur le lit. Elle lui demanda alors s’il dormait, mais n’obtient aucune réponse de sa part. Elle s’assit par la suite à côté de lui, passa délicatement sa main dans sa chevelure, puis la retira.
- Je ne sais pas si tu m’entends, mais je veux que tu saches à quel point je suis désolée pour mon comportement de tout à l’heure. Je n’avais aucun droit de réagir de la sorte pour quelque chose d’aussi futile. Tu sais, je subis une assez grande pression au travail avec cette promotion. Donc, quand tu m’as parlé de cette femme qui voulait soudainement travailler exclusivement avec toi, ça ne m’a pas plu. Non, loin de là…
Tandis qu’elle s’adressait à Michael, la jeune femme ignorait que ce dernier ne dormait pas, qu’il écoutait avec la plus grande des attentions tout ce qu’elle lui disait.
- Maintenant que j’y pense, en prenant un peu de recul, je me dis qu’inconsciemment, ça m’a servi de prétexte pour défouler tout ma frustration sur toi. Michael, j’ai peur. J’ai tellement peur que tu finisses par ne plus m’aimer, peur que tu me délaisses pour t’attacher à cette Degrâce, peur de me retrouver seule, et surtout, j’ai peur de l’avenir…
- Tu n’as pas à avoir peur. Je ne compte aller nulle part, rétorqua soudainement Michael.
- Tu…je pensais que tu dormais ! s’exclama la demoiselle, légèrement effrayée.
Le jeune homme se redressa et la prit dans ses bras. Les deux restèrent dans cette position durant de nombreuses secondes avant qu’Orzak ne décide de mettre un terme à leur câlin.
- Comment pourrai-je m’en dormir sachant que celle que j’aime est partie je ne sais où sans emporter avec elle son téléphone portable, lui dit-il juste après.
Natacha s’excusa une fois de plus, ce à quoi Michael lui répondit qu’elle n’avait pas besoin de le faire, qu’il comprenait parfaitement. D’ailleurs, il ajouta qu’il était plutôt celui qui devait s’excuser, que la traiter comme une enfant ne fut pas correct de sa part. Néanmoins, il lui rappela les mots qu’il avait prononcés la veille, que si elle avait besoin de parler, il serait toujours là pour elle. Entendre à nouveau ces paroles sortir de la bouche de celui qu’elle aimait eut l’effet opposé chez la demoiselle dont la mine s’attrista par la suite.
- Natacha, qu’est-ce qu’il y a ? Tu sais que tu peux tout me dire, n’est-ce pas ? Je suis là pour ça, réitéra le jeune homme.
- Ce n’est rien. T’inquiète, répondit-elle simplement.
Michael se doutait pertinemment qu’il y avait quelque chose qui la tracassait. Toutefois, il ne pouvait pas la forcer à parler et devait donc attendre qu’elle le fasse de son propre chef. De son côté, la demoiselle essaya de se remonter elle-même le moral. Ce fut à ce moment que, dans la pénombre de la chambre à coucher, les yeux de Natacha Barnes se posèrent sur le torse de son fiancé, ce qui lui donna certaines envies, des envies qu’elle désirait assouvir à cet instant.
A suivre !!!