Cela faisait déjà une vingtaine de minutes que Marion était couchée dans cet énorme appareil. Elle commençait à en avoir assez de rester immobile sans rien faire et d’être dans cette tenue d’hôpital aussi gênante qu’inconfortable. De plus, le vacarme que l’IRM produisait lors de son fonctionnement tapait également sur le système de la jeune adolescente. Il était donc tout à fait compréhensible qu’elle veuille sortir de là au plus vite. Cependant, elle allait encore devoir attendre et c’était ça le pire. Ségolène ne savait pas exactement durant combien de temps elle devait encore patienter.
Au départ, elle se disait que cet examen durerait à peine quelques minutes, ce qui n’avait pas été le cas. Elle avait l’impression d’être dans cette pièce depuis une éternité.
- Dépêchez-vous de terminer ! Je me fais chier, pensa-t-elle.
La jeune adolescente aurait tellement voulu avoir son téléphone portable sur elle à ce moment. Malheureusement, à cause du gros aimant qui leur servait de scanneur, son appareil n’avait pas été autorisé.
De l’autre côté de la vitre, les deux employés avaient toujours leurs yeux rivés sur leurs écrans d’ordinateur, recherchant la moindre anomalie qui pourrait indiquer un problème chez leur patiente. Pendant ce temps, le docteur Higgins, qui était responsable de toute cette opération, avait toujours l’esprit ailleurs. Depuis que Herman et lui avaient eu cette légère conversation, diverses pensées farfelues traversaient la tête du vieil homme. Il s’imaginait par exemple fuir le pays en compagnie de Marion lorsqu’elle serait majeure. Bien évidemment, cela lui demanderait d’attendre encore deux ans pour qu’elle atteigne sa majorité, mais d’un autre côté, il serait surement à l’abri de toutes représailles de la part de son ami.
Ce n’était qu’un simple fantasme, mais cela suffit à exciter l’homme de 62 ans. Dans l’esprit de Karl Higgins, Marion Ségolène Invictus devait progressivement un objet dont il fallait à tout prix s’emparer. Il avait assez de connaissances et beaucoup d’argent sur ses différents comptes bancaires pour trouver un moyen de le faire. Toutefois, une autre pensée le ramena brusquement à la réalité. Le père de la personne qu’il désirait désormais n’était nulle autre que Herman Invictus. Le docteur le fréquentait depuis assez longtemps pour savoir que c’était quelqu’un qu’il ne fallait absolument pas prendre à la légère. Il était un requin parmi les requins, une personnalité qui pouvait vous détruire d’un simple claquement de doigts. Donc, pour obtenir ce qu’il voulait, il devrait trouver un moyen de se débarrasser de son ami.
- Mademoiselle Invictus, restez immobile s’il vous plait, rétorqua soudainement la jeune femme devant l’écran.
- Ça finit quand ? questionna Marion, exaspérée.
- Encore quelques minutes s’il vous plait. Pendant ce temps, tâchez de ne pas bouger.
La brusque intervention des jeunes femmes ramena une fois de plus le vieil homme à la raison. Il se rendit alors compte que le premier examen de Ségolène était presque fini et qu’il avait passé la majeure partie de son temps à penser à elle au lieu de faire ce pour quoi il était là.
- Alors, avez-vous détecté une quelconque anomalie sur les radios de mademoiselle Invictus ? demanda-t-il.
Higgins ensuite s’approcha de ses deux employés afin d’avoir une meilleure vue sur les écrans d’ordinateur.
- Non, monsieur. Pour l’instant, nous n’avons rien trouvé d’anormal, répondit le radiologue.
- C’est bien. Au moins, ça nous permet d’éliminer les problèmes les plus graves.
Le docteur Higgins était soulagé par ces résultats préliminaires. Il n’allait donc pas annoncer une mauvaise nouvelle à Henrietta. Il supportait très mal de la voir dans l’état dans lequel elle se trouvait.
- Encore quelques minutes, et nous pourrons procéder à la seconde série d’examens. Une fois que ce sera terminé, conduisez là immédiatement dans le service d’ostéopathie…
Il leur donna ensuite plus de précisions sur la personne chez qui Marion devait passer ses prochains examens, puis quitta la pièce.
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- Ta mère et moi sommes actuellement à l’hôpital. Nous faisons passer des examens à Marion… Non, tu n’as pas besoin de te déplacer dans l’immédiat. Finis d’abord ce que tu as à faire, ensuite tu pourras venir nous rejoindre à la maison… Oui, j’en suis sûr… ça lui fera extrêmement plaisir de te voir… Allez, prends soin de toi. À plus.
Avec ses quelques mots, Herman mit un terme à la conversation qu’il avait avec son fils. Il revint ensuite s’assoir auprès de sa femme qui lui demanda comment Ethan se portait.
- Il se porte à merveille d’après ce qu’il m’a dit. Il est un peu pris à cause de ses examens, mais ça va. Il voulait même venir nous voir immédiatement après que je lui ai annoncé pour Marion, mais je lui ai dit qu’il devait d’abord finir avec ses épreuves.
- Tu as bien fait. Il risquerait d’avoir du mal à se concentrer sur ses études s’il venait maintenant à la maison, dit Henrietta.
À ce moment, des souvenirs de ses enfants lui revinrent soudainement en mémoire. Elle se rappela notamment une scène en particulier émouvante, ce qui la fit sourire sur le moment.
- Dis, tu te souviens quand Ethan avait 10 ans et que Marion voulait en permanence jouer avec lui alors que cela ne l’intéressait pas, poursuivit-elle.
- Comment oublier cela ? Elle courait toujours après lui et voulait toujours participer à toutes les activités qu’il faisait. Tu étais toujours obligée d’intervenir pour qu’il joue avec elle, dit l’homme d’affaires en esquissant lui aussi un léger sourire.
- Ça n’a pas toujours été facile, mais au moins, ce sont des souvenirs que je n’oublierai pour rien au monde.
Se rappeler de tels évènements aidait Henrietta à focaliser son esprit sur autre chose que les examens que son enfant était en train de passer. Tout d’un coup, Karl pointa le bout de son nez, ce qui eut pour conséquences de faire disparaitre toute la quiétude qu’elle s’était forcée d’éprouver jusqu’à présent. Les deux parents se levèrent donc comme un seul homme tandis qu’une certaine pression commençait à faire son apparition au niveau de leur cœur.
- Alors, comment elle va ? questionna Henrietta, inquiète.
- Les résultats de l’IRM n’ont révélé aucune anomalie…
À ce moment précis, le cœur de madame Invictus s’allégea. C’était comme si tout le poids qui pesait sur elle s’était envolé de la même manière dont il était mystérieusement apparu.
- Marion ne souffre donc d’aucun problème cérébral. Mes hommes vont donc de ce pas l’amener voir l’ostéopathe afin de traiter son problème d’acouphène. Ça ne devrait plus être long, poursuivit-il.
- Merci, Karl. Merci beaucoup de prendre soin de mon enfant, rétorqua Henrietta en prenant ses mains dans les siennes.
- Tu n’as pas à me remercier, Henrietta. Je n’ai fait que mon devoir.
Le vieil homme était extrêmement ravi de la voir dans cet état. Il n’aimait pas quand elle était morose ou triste. Malheureusement pour lui, ce fut à ce moment que son regard croisa celui d’un certain homme d’affaires, ce qui lui rappela une fois de plus la brève conversation qu’il avait eu quelque temps auparavant.
- Bon, il faut que j’y aille. Je dois aller voir comment le second examen de Marion se déroule. Dès que l’on finit, je vous la ramène immédiatement, dit-il brusquement.
Madame Invictus lâcha donc les mains de Karl tout en le remerciant une fois encore de tous les efforts qu’il faisait afin de maintenir la santé de leur enfant. L’homme esquissa juste un léger sourire avant de prendre le chemin de la salle d’examen. Henrietta se retourna ensuite vers son mari, le regard rayonnant. Toute la quiétude qui l’habitait avec complètement disparu.
- Herman, tu as entendu ? Notre fille, notre fille n’a rien de grave, dit-elle.
- J’ai entendu, Henrietta. C’est une très bonne nouvelle, rétorqua le mari avec le sourire.
En effet, il s’agissait là d’une très bonne nouvelle pour la famille Invictus. Néanmoins, la colère était toujours présente dans le cœur de l’homme d’affaires, une profonde colère dirigée vers l’homme responsable de toute cette situation, Daniel Prine.
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De retour au bureau, mademoiselle Barnes, comme plusieurs de ses collègues, prenait son déjeuner dans le restaurant de l’entreprise pour laquelle elle travaillait. La jeune femme avait l’esprit ailleurs, ce qui expliquait pourquoi elle n’écoutait pas ce que sa collègue, Fatima, était en train de lui dire alors que cette dernière était juste assise en face d’elle. Natacha était en effet focalisée sur la conversation qu’elle avait eue avec son patron quelques heures auparavant et dans laquelle elle lui avait promis de faire tout ce qu’il voudrait. Monsieur Invictus avait bien évidemment accepté, mais cela voulait également dire qu’elle devrait se montrer plus forte que jamais et qu’elle ne devrait plus lui opposer la moindre résistance jusqu’à la fin de cette semaine.
Plus elle repensait à toute cette histoire et plus sa colère envers son fiancé grandissait, car si on y réfléchissait bien, il était non seulement celui qui l’avait encouragée à faire sa demande de promotion ; ce qui avait été le déclencheur de toute cette histoire ; mais il était également celui qui avait empiré la situation déjà très délicate dans laquelle elle se trouvait. Tout était entièrement sa faute si elle devait désormais se donner à monsieur Invictus afin de conserver non seulement son emploi, mais également de protéger toutes les personnes qui lui étaient chères. Pendant ce temps, tout ce qu’il avait à faire était de prendre des photos de cette « poufiasse » nommée Elène Degrâce.
Tandis que Natacha était perdue dans ses pensées, Fatima, qui avait remarqué que son amie ne semblait pas faire attention à ce qu’elle lui disait, mentionna son prénom à plusieurs reprises. Mademoiselle Barnes sortit alors de son petit nuage.
- Oui, désolée. J’avais l’esprit ailleurs, rétorqua-t-elle.
- Donc, tu n’as pas écouté tout ce que je te disais jusque-là ?
- Pas vraiment, désolée. J’étais perdu dans mes pensées.
- Tu n’es vraiment pas croyable, Natacha. Je te disais que ce matin, Ivy Jensen s’est pointée au travail avec un œil au beurre noir. Elle a tenté de le dissimuler avec son maquillage, mais tout le monde a remarqué ça.
- Ivy Jensen, hum. C’est pas la femme dont tu m’as parlé la fois dernière ? Celle qui entretient une relation avec ce type des ressources humaines. J’ai oublié son nom…
- Daniel Ramea. Oui, c’est bien elle. Quoi qu’il en soit, si on considère qu’elle soit venue au boulot avec un coquard couplé au fait que Daniel et elle s’évitent depuis le début de la matinée, il semblerait que quelque chose de grave se soit passé entre eux. Je dirais que madame Ramea et Ivy Jensen se sont un peu crêpé le chignon. Une relation de couple très compliquée.
- Je ne te le fais pas dire, répondit la jeune femme en pensant à la sienne.
Tandis que Natacha et Fatima étaient dans leurs commérages, mademoiselle Harlock pensait un très mauvais moment. La jeune femme, qui était restée à son poste durant son heure de pause, était très frustrée vis-à-vis du comportement de l’homme qu’elle aimait. Elle avait tenté de l’appeler à plusieurs reprises, mais sans succès. Lors de sa première tentative, celui-ci avait directement coupé l’appel sans prendre le temps de décrocher. Tess avait alors essayé de le contacter après cela, mais elle tomba directement sur un message lui disant qu’il avait déjà un appel en cours. Elle s’était alors demandé qui était cette personne qui l’empêchait de prendre contact avec Herman sans savoir qu’il s’agissait de la demoiselle avec qui elle travaillait chaque jour.
Mademoiselle Harlock était donc seule dans son bureau, observant sa montre et se demandant quand son patron allait se décider à venir. Elle était alors tentée de l’appeler à nouveau, ce qu’elle fit d’ailleurs par la suite. Malheureusement, comme précédemment, l’homme d’affaires refusa de répondre, ce qui frustra encore plus la jeune femme. Elle avait alors envie de casser son téléphone portable, mais réussit à se calmer juste à temps.
C’était la première fois qu’un homme agissait de la sorte avec elle. En général, elle parvenait toujours à obtenir tout ce qu’elle voulait d’eux, mais avec Herman Invictus, ce n’était pas le cas. Elle pensait qu’après avoir couché avec lui dans son bureau, les choses auraient commencé à changer, que son influence sur lui augmenterait, mais rien. C’était lui qui jouait avec elle, ce qu’elle n’appréciait pas du tout. Il fallait à tout prix qu’elle renverse la vapeur et le plus vite possible.
À ce moment, quelqu’un frappa à la porte de son bureau. Peut-être était-ce parce qu’elle pensait présentement à lui, mais Tess se dit que la personne derrière la porte était son patron, Herman Invictus. Son visage devint alors beaucoup plus radieux, du moins jusqu’à ce qu’elle se rende compte que si ça avait été son employeur, il n’aurait pas eu besoin de cogner. Il serait directement rentré dans la pièce. Ce fut donc sur un ton légèrement colérique qu’elle invita cette personne à entrer. Quelle ne fut pas sa désagréable surprise lorsqu’elle se rendit compte qu’il s’agissait d’Oliver Thompson, le jeune homme qui l’avait invitée à sortir et qui avait accessoirement une de ses mains dans son dos.
- Oliver ! Un autre rapport pour monsieur Invictus ? demanda-t-elle.
- Pas vraiment. En fait, si je suis là, c’est pour te voir, répondit-il.
La réponse d’Oliver surprit quelque peu mademoiselle Harlock qui se demandait ce qu’il lui voulait. Elle espérait alors qu’il ne comptait pas l’inviter à sortir comme la veille. Elle n’avait vraiment pas le temps pour ce genre de choses.
- Comme je ne t’ai pas vue en bas au restaurant, je me suis dit que ce serait une bonne idée de t’apporter ton déjeuner directement à ton bureau.
Thompson dévoila alors ce qu’il cachait derrière son dos depuis tout à l’heure. Il s’agissait d’un plat, mais pas n’importe lequel. Il s’agissait d’une salade, le genre de repas que la jeune femme consommait habituelle. Tess était surprise, mais comprit immédiatement que cela faisait longtemps qu’il l’observait. C’était la seule explication plausible. Sinon, comment aurait-il su qu’elle aimait manger des salades composées durant ses pauses déjeuner.
- C’est…c’est très gentil à toi, dit mademoiselle Harlock en attrapant le paquet qui lui était tendu.
Le geste qu’il venait de commettre était à la fois effrayant et intrigant pour Tess. Le jeune homme devant ses yeux risquerait de se montrer problématique si elle ne prenait pas correctement soin de lui.
A suivre !!!