De retour à l’agence de photographie de mademoiselle Plano, Michael procédait à la dernière séance avec la très charmante Elène Degrâce. Comme à son habitude, la jeune femme était très élégante dans les vêtements qu’elle portait, ce qui était merveilleux pour une personne comme Orzak qui aimait immortaliser des instants bien précis de la vie des gens. Les clichés s’enchainèrent donc pendant encore une heure jusqu’à ce que la séance se termine. Dès que ce fut le cas, Elène allait une fois de plus se changer, mais demanda cette fois-ci à Michael de l’accompagner.
- Je pense que cela risque d’être très inapproprié, dit-il.
Parce qu’il ne savait pas à quoi elle jouait, Orzak préféra refuser cette drôle de proposition, d’autant plus que, même s’il était actuellement en froid avec Natacha, elle restait la femme qu’il aimait et avec qui il souhaitait passer le reste de sa vie. Mademoiselle Degrâce se mit à rire légèrement devant la réponse qu’il venait de lui donner.
- Vous n’avez pas à vous inquiéter pour cela. Vous n’aurez qu’à rester à l’extérieur de ma loge. Quoi qu’il en soit, j’ai à vous parler.
- Me parler ?
- C’est ça, poursuivit-elle en arborant un sourire ravageur.
Michael était curieux de savoir de quoi elle voulait lui parler. Cependant, cela ne changeait rien au fait qu’il trouvait sa demande quelque peu ambigüe. Il regarda ensuite son garde de corps, monsieur Crougz, comme s’il attendait que ce dernier dise quelque chose qui l’empêcherait de la suivre. Malheureusement, l’homme maintint son professionnalisme et ne prononça aucun mot.
- Il semblerait alors que le choix ne m’appartienne guère.
- Il semblerait en effet.
Le fiancé de mademoiselle Barnes suivit donc le duo composé d’Elène Degrâce et de son garde de corps. Arrivé devant la loge de la jeune femme, ce dernier s’arrêta immédiatement devant la porte. Bien qu’il ne le montrât pas, Michael était mal à l’aise de se trouver là. Il se demandait notamment ce que ses collègues allaient penser en le voyant de la loge de leur illustre invitée.
- Qu’est-ce qu’elle pense accomplir en faisant ça ? pensa-t-il.
Alors que cela faisait plusieurs dizaines de minutes qu’il se tenait debout en face de la porte, Mike entendit la voix de mademoiselle Degrâce qui l’appelait depuis l’intérieur.
- Je suis là, mademoiselle Degrâce. Alors, de quoi vouliez-vous me parler ? répondit-il.
- Si je vous ai fait venir, c’est pour deux raisons bien précises. La première est de savoir ce que vous avez pensé de cette première journée de travail avec moi.
À ce moment, Michael fut quelque peu contrarié et confus. Si elle voulait savoir cela, elle aurait pu lui poser la question lorsqu’ils étaient encore sur le plateau au lieu de le faire venir jusqu’en face de la porte de sa loge.
- Pour être tout à fait franc avec vous, il s’agit là d’une question à laquelle je ne peux pas répondre pour l’instant. Ce n’est que mon tout premier jour de travail avec vous et bien que vous ayez été indulgente envers moi à propos de mon retard ; je m’en excuse encore ; cela est très loin d’être suffisant pour donner un avis sincère.
- Ce n’était pas le genre de réponse à laquelle je m’attendais, mais vous marquez un point.
- Dans ce cas, puis-je connaitre la seconde raison pour laquelle vous m’avez fait venir ?
- Nous en discuterons plus tard. Disons que pour l’instant, je me contenterai d’observer votre travail, répondit-elle.
La réponse de mademoiselle Degrâce surprit énormément Michael qui se demanda ce que se passait. Elle avait clairement dit qu’elle avait deux raisons pour lesquelles elle l’avait fait venir jusqu’en face de sa loge. Mais maintenant, elle voulait reporter cette conversation à plus tard. Pour le fiancé de Natacha Barnes, il était clair que quelque chose clochait avec cette femme.
- Donc, dois-je en conclure que je suis libre de m’en aller ? demanda-t-il par la suite.
- Oui, vous pouvez y aller.
Sans hésiter, le fiancé de mademoiselle Barnes quitta les lieux. Peu de temps après, Elène, portant une toute nouvelle tenue, sortit de sa loge et s’adressa à son garde du corps.
- Contacte O’Brien et dis-lui de me trouver tout ce qu’il peut sur Michael Orzak. Je veux tout savoir.
- Il sera fait comme vous le souhaitez, dit monsieur Crougz.
Alors que Michael sortait tout juste de l’ascenseur, il tomba nez à nez avec Jessica qui s’apprêtait à l’emprunter. Cette dernière lui demanda alors s’il avait fini avec mademoiselle Degrâce.
- Oui, j’ai fini avec elle, répondit-il.
Le ton de sa voix n’était pas très amical, preuve qu’il n’avait pas encore digéré la conversation qu’ils avaient tous les deux eue.
- Au fait, Michael, c’est toujours bon pour ce dimanche ?
- Dimanche ?
Avec tout ce qu’il avait traversé ces derniers jours, le jeune homme avait complètement oublié qu’il avait invité sa patronne et son meilleur ami à passer une soirée amicale avec Natacha et lui.
- Je ne sais vraiment pas. Je te tiendrai au courant si c’est toujours bon ou pas, poursuivit le jeune homme.
- OK ! Alors, on se dit bon week-end.
- C’est ça. Allez, j’y vais.
Ce fut avec ce petit échange avec Jessica que Michael partit de l’agence. Cependant, il ne rentra pas immédiatement chez lui, il était beaucoup trop tôt pour ça. Le jeune homme erra donc dans les rues, cherchant ce qu’il pouvait bien faire pour faire passer le temps. Il décida alors de retourner au parc où il avait pris de nombreuses photos d’enfants. Son choix ayant été fait, Michael marcha en direction de l’arrêt de bus le plus proche.
—–*—–
Madame Invictus et Marion venaient tout juste d’arriver chez eux. Alors que la jeune adolescente descendait de la voiture, sa mère lui dit de ne pas oublier de prendre ses médicaments. Ségolène secoua la tête en guise de réponse avant de prendre la direction de la maison. Tandis que Henrietta observait son enfant s’éloigner, elle ne put s’empêcher de se remémorer ce qui s’était passé à l’hôpital. À ce moment, elle éprouvait à la fois une certaine inquiétude pour son enfant, mais également beaucoup de colère envers son mari qui avait à de nombreuses reprises refusé de lui dire ce dont il avait parlé avec Karl.
Henrietta n’aimait pas ça, mais vraiment pas du tout. Tandis qu’elle pensait à tout ceci, elle finit par se promettre que si son mari mettait la vie de son enfant en danger avec ses cachoteries, elle le lui ferait payer amèrement. Peu importe son statut social et la fortune qu’il possédait, elle ferait tout son possible pour le faire tomber.
La femme de l’homme d’affaires descendit finalement de la voiture et partit en direction de sa maison. Elle fut immédiatement accueillie par sa gouvernante, Clémentine Bourgeon, qui lui souhaita un bon retour chez elle.
- Clémentine, veillez à ce que Marion prenne sa médication sans faute. Aussi, retirez de sa chambre tout appareil susceptible d’émettre de fort bruit à proximité de ses oreilles. Donc, que ce soient des enceintes stéréos, des écouteurs, et autres objets dans le genre, je veux que ça disparaisse de sa chambre, du moins jusqu’à ce qu’elle se rétablisse complètement.
- Je m’en charge immédiatement, madame.
La gouvernante appela plusieurs de ses subordonnés avec qui elle se rendit dans la chambre de Marion quelques minutes plus tard. La jeune adolescente, qui se trouvait dans la pièce à ce moment, fut très surprise lorsque Clémentine entra soudainement avec à ses côtés d’autres employés de son père.
- Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle.
- Madame votre mère nous a ordonné de récupérer certains de vos appareils électroniques, répondit la gouvernante.
- Quoi ?!
Marion avait du mal à en croire ses oreilles. Son père lui avait déjà retiré sa paire d’écouteurs à l’hôpital et maintenant c’était sa mère qui faisait de même à la maison. La jeune adolescente savait que ses parents agissaient de la sorte pour son bien, mais cela semblait tout de même injuste. Qu’allait-il lui rester après le passage de Clémentine ?
Ségolène sortit de sa chambre et partit immédiatement à la recherche de sa mère. Leur demeure étant assez grande, la jeune adolescente l’appela à plusieurs reprises afin de savoir dans quelle pièce elle se trouvait.
- Je suis là ! s’exclama madame Invictus.
Marion se rendit dans l’un de leur séjour, endroit d’où provenait la voix de sa mère. À peine elle arriva sur place que cette dernière lui dit qu’elle savait déjà pourquoi elle était là.
- Si je le fais, c’est pour ton bien. Tu as comme moi entendu ce que le médecin a dit. Tes oreilles ne doivent pas être exposées à des sons trop forts de peur que ton acouphène devienne permanent, poursuivit-elle.
La jeune adolescente savait déjà tout ça. Cependant, cela n’en demeurait pas moins injuste à ses yeux. Elle avait envie de hurler sur sa mère, mais se retint. Cela ne lui servirait strictement à rien, la décision de la dame ayant déjà été prise. Il ne lui restait plus qu’à observer, impuissante, Clémentine et les domestiques emporter ses affaires.
Marion retourna dans sa chambre où elle se coucha sur son lit. Alors que le sommeil commençait à s’installer progressivement, son téléphone portable se mit à vibrer. Il s’agissait d’un message en provenance d’une de ses meilleures amies, Becky Woodward.
« On ne t’a pas vue à l’école aujourd’hui ? Qu’est-ce qui se passe ? » était-il écrit.
« J’ai eu un accident de voiture et papa ne veut pas que j’aille à l’école tant que je ne serai pas complètement rétablie. »
Moins de trois secondes après avoir envoyé son SMS, le téléphone portable de mademoiselle Invictus sonna brusquement.
- Comment ça un accident de voiture ?! Ça s’est passé quand ?! hurla une Becky complètement paniquée au moment où Marion décrocha.
Heureusement, la fille d’Herman Invictus avait pris soin d’activer le haut-parleur. Si elle avait mis son appareil au niveau de son oreille, il est certain que la voix de son amie aurait empiré son état de santé.
- Tout s’est passé hier en rentrant des cours du soir. On roulait tranquillement lorsqu’une voiture a surgi de nulle part et est venue percuter la nôtre et nous a envoyés dans le décor. On m’a ensuite conduit à l’hôpital où papa et maman sont venus me retrouver plus tard, expliqua-t-elle.
- Merde ! J’espère que tu n’as rien de cassé.
- Non, rien du tout. Par contre, j’ai un putain de mal de crâne depuis hier. Je n’ai jamais eu un truc pareil. En plus, j’ai des bourdonnements dans les oreilles.
- Je n’imagine même pas ce que tu dois éprouver en ce moment. Mais qu’est-ce que les médecins ont dit ?
- Que je devais me reposer et éviter le bruit au maximum…
Marion poursuivit en lui disant qu’à cause de cela, ses parents avaient décidé de lui retirer plusieurs de ses appareils électroniques, dont sa précieuse paire d’écouteurs. Becky prit immédiatement le parti de la jeune adolescente et rétorqua qu’ils n’avaient pas le droit de faire une chose pareille.
- Vivement qu’on finisse toutes avec le lycée et qu’on parte à l’université. J’ai vraiment hâte d’être indépendante, poursuivit-elle.
Ségolène garda le silence quelques instants, mais lorsqu’elle reprit la parole, elle demanda à son amie de l’excuser, car, avant que cette dernière appelle, elle était sur le point de s’endormir.
- Je comprends. On reparle alors tout à l’heure. Repose-toi bien. À plus !
- À plus !
L’appel venant de se terminer, la fille d’Herman mit son téléphone de côté. Les médicaments qu’elle avait pris quelque temps auparavant commençaient à prendre effet. Ses maux de tête diminuant en intensité, elle pouvait désormais bien dormir. Marion ferma donc ses yeux et plongea petit à petit dans le monde des rêves.
—–*—–
Michael arriva finalement devant le parc. Comme le jour précédent, celui-ci était rempli de monde qui vaquait à diverses occupations. Le jeune homme s’assit sur un des bancs disponibles avant de lâcher un profond soupir. Il était exténué et ce n’était pas à cause de sa courte journée de travail. Non, Mike était fatigué de tout ce qui se déroulait présentement dans sa vie. Quelques jours auparavant, tout était paisible. Natacha était une jeune femme souriante qui voulait dévorer la vie à pleines dents. Mais maintenant, ce n’était plus le cas. Son sourire éclatant rempli de joie s’était transformé en quelque chose qu’il ne reconnaissait pas.
- Comment en est-on arrivé là ? se demanda-t-il.
Il ne lui fallut pas longtemps afin de trouver la réponse à sa question. Elle était claire comme de l’eau de roche. Herman Invictus était la cause de tout ceci. Michael avait eu un aperçu du comportement de l’homme et en était donc certain. Il savait que sous son apparence se cachait une personne sans morale qui n’hésitait pas à exploiter ses employés jusqu’à ce que ces derniers n’en puissent plus et finissent par craquer.
Bien qu’il eût une idée du coupable de l’histoire, cela n’excusait en rien le mauvais comportement que sa fiancée témoignait à son égard. Tout ce qu’il avait fait était de confronter l’homme qui l’avait mise dans cet état et elle, au lieu d’être en accord avec ce qu’il avait fait, démontrait plutôt une certaine animosité envers lui. Plus il pensait à cela et plus il perdait son sang-froid. Il fallait impérativement qu’il se change les idées. Pour ce faire, il sortit son téléphone portable et appela son meilleur ami, Stanley Hopkins.
- Hé, Stan ! T’es libre dans combien de temps ? dit-il lorsque son ami décrocha.
- Hé, dans à peu près deux heures. Pourquoi ?
- Ça te dirait qu’on aille prendre une bière ou deux ? J’ai vraiment besoin de boire un coup.
- Tu sais que je suis toujours partant pour boire quelques coups avec mon meilleur pote. Alors, on se retrouve où ? dit Stanley de manière enthousiaste.
- On se retrouve alors à l’endroit habituel dans deux heures.
- Sans souci, mec.
L’appel entre les deux finit quelques instants plus tard et Michael rangea son téléphone dans sa poche avant de se relever. Il avait encore à peu près deux heures à tuer et allait donc profiter de ce laps de temps pour prendre un maximum de photos.
- C’est parti ! s’exclama-t-il après s’être armé de son appareil photo et de partir à la chasse.
A suivre !!!