La promotion 56

Assise à une des tables, mademoiselle Barnes se faisait silencieuse. Depuis son arrivée dans cette sorte de salle d’attente, la jeune femme n’avait adressé la parole à personne. Elle était beaucoup trop gênée pour ça. Il fallait dire que partout où elle posait les yeux, et ce de façon discrète, elle voyait des jeunes hommes et femmes presque entièrement nus. Certains semblaient même être très confortables avec leur tenue vu la manière dont ils discutaient entre eux.

De plus, il y avait également le fait que certains des « présents » de cette séance de dégustation la reluquaient depuis son entrée dans la salle. C’était vraiment quelque chose qu’elle n’appréciait pas et compte tenu de son accoutrement, c’était compréhensible. Plusieurs hommes avaient alors essayé de l’aborder, en ayant majoritairement une approche sympathique, mais cette dernière les avait complètement ignorés, se contentant de fixer sa carte en or.

D’ailleurs, lorsque certains s’étaient rendu compte de ce qu’elle tenait entre les mains, ils voulurent l’intégrer à leur groupe. La raison principale à cela était qu’ils avaient été curieux vis-à-vis des origines de mademoiselle Barnes. Il fallait dire qu’elle possédait le même type de carte de participation qu’eux, mais ils n’avaient aucune d’idée de l’endroit d’où elle venait. Malheureusement pour eux, Natacha avait à plusieurs reprises refusé de rejoindre leur groupe et même de leur adresser la parole. Il en résultat donc une Natacha Barnes complètement isolée du reste des participants.

Tandis qu’elle était seule dans son coin, se demandant ce qu’elle faisait là et ce que Michael penserait d’elle s’il savait tout ce qu’elle avait fait durant la semaine, Natacha fut interpellée par une autre personne. Il s’agissait cette fois-ci d’une jolie jeune femme aux cheveux blonds. Participante disposant d’une carte argentée, celle-ci répondait au nom d’Olivia Price.

Mademoiselle Price s’assit à côté d’elle et, comme les précédents, adopta une approche plutôt amicale. Elle commença par lui dire que les hommes de la pièce étaient quelque peu abjects, reluquant le sexe opposé comme s’il s’agissait de simples morceaux de viande. La jeune secrétaire fut d’accord sur ce point, mais préféra garder son avis pour elle-même. Cela énerva quelque peu Olivia de voir que Natacha, son interlocutrice, restait silencieuse alors qu’elle avait pris la peine de venir à elle et d’entamer la conversation. Si cela n’avait pas été à cause de sa curiosité vis-à-vis des cartes et leur signification, jamais elle ne se serait approchée de cette « sainte nitouche ».

Olivia garda donc son calme, se présenta à mademoiselle Barnes, puis lui demanda à son tour comment elle s’appelait. Elle n’obtint cependant que du silence de la part de la fiancée de Michael Orzak, ce qui eut pour conséquences de lui taper sur les nerfs. Mademoiselle Price avait alors envie de prendre la tête de Natacha et la frapper à de nombreuses reprises sur la table. Elle garda cependant son calme, se disant que les Britanniques étaient des gens civilisés. Ce n’était pas le cas de ces Américains qui n’avaient aucun savoir-vivre.

  • Je vois que tu n’es pas très bavarde. Pas grave. Mais dis-moi, as-tu une idée de pourquoi nous n’avons tous pas les mêmes cartes ? rétorqua-t-elle en lui présentant la sienne.

Lorsqu’elle aperçût la carte de participation d’Olivia, mademoiselle Barnes se remémora ce que l’employée lui avait dit dans la chambre. De ce fait, si elle, qui possédait une carte en or, avait une valeur de départ de dix millions, alors cela voulait dire que celle de la jeune femme assise à côté devait être inférieure. Natacha ne put alors s’empêcher de se demander quel prix avait été placé sur les personnes comme elle.

De son côté, mademoiselle Price attendait une réponse de la part de Natacha. Elle avait remarqué sa réaction lorsqu’elle lui présenta la carte et également celle qu’elle tenait entre ses mains, et se doutait donc qu’elle savait au moins certaines choses sur ces objets. De plus, parce que Barnes était pratiquement isolée, elle en déduisit que celle-ci n’était en relation avec aucune autre personne présente dans la salle et qu’elle était donc plus à même de lui fournir les informations qu’elle convoitait.

  • À vrai dire, chaque carte…

Alors que mademoiselle Barnes était sur le point de lui répondre, trois jeunes hommes vinrent prendre place à la même table que Price et elle. Tous étaient également des « présents » comme elles et leur demandèrent comment elles se portaient.

  • Vous ne voyez pas que nous sommes en train de parler, rétorqua Olivia.

La jeune femme était quelque peu agressive envers ces hommes et pour cause, Natacha était sur le point de lui dire quelque chose d’important et eux, ils débarquaient comme si de rien n’était et s’immisçaient dans leur conversation. Pour qui se prenaient-ils ?

  • Hé ! Pas besoin d’être aussi rude avec nous. On n’a rien fait de mal.
  • C’est vrai. On se disait juste que ce serait bien de venir vous tenir compagnie comme vous êtes toutes les deux isolées, continua l’autre.
  • Merci à vous, mais nous n’avons pas besoin de compagnie. Vous pouvez donc vous en aller.

Malgré cette requête quelque peu autoritaire de la part de mademoiselle Price, les trois hommes restèrent à leur place et l’un d’eux lui répondit même qu’elle n’avait pas besoin d’être sur la défensive, et qu’ils ne leur voulaient aucun mal.

Alors qu’elle était sur le point de hausser une fois de plus le ton avec eux, Olivia se rendit compte que chacun des trois jeunes hommes disposait d’une carte en or similaire à celle de Natacha. Elle comprit peut-être alors de quoi il en retournait. En effet, depuis déjà plusieurs minutes, mademoiselle Price avait demandé des informations aux autres participants vis-à-vis des cartes qui leur avaient été confiées. Cependant, tandis que certaines personnes n’avaient aucune idée de la signification de ces objets, d’autres, à savoir la presque totalité des possesseurs de cartes dorées, avaient préféré se taire et ne rien dire.

Olivia se demanda bien évidemment pourquoi ils agissaient tous de la sorte. Elle voulait juste savoir pourquoi les cartes étaient différentes les unes des autres. Qu’est-ce qui faisait en sorte qu’elle disposait d’une qui soit argentée tandis que celle de Natacha était dorée ? De plus, avec les documents qu’elle avait signés dans sa chambre, ce n’était pas comme si elle irait crier sur tous les toits qu’une certaine activité dans laquelle des gens étaient presque entièrement nus se déroulait aux côtés de personnes très influentes de la haute société. Quoi qu’il en soit, le comportement de ces jeunes hommes exaspéra énormément mademoiselle Price qui n’eut d’autre choix que de passer à l’acte. S’ils ne voulaient pas s’en aller, alors ce serait à elles de le faire.

De son côté, mademoiselle Barnes qui n’était pas stupide remarqua également que quelque chose n’allait pas dans les comportements de ces individus. Il était vrai qu’elle avait été abordée de nombreuses fois depuis qu’elle était rentrée dans cette salle d’attente, mais à cause de son caractère silencieux, tous ses interlocuteurs avaient fini par se lasser et la laisser toute seule. Il était donc très étrange que ces trois-là viennent soudainement prendre place à leur table, d’autant plus que ce n’était pas la première fois qu’elle les voyait. Était-ce parce qu’elle connaissait ce que posséder une carte dorée signifiait et qu’elle était sur le point de le dire à Olivia ? Existait-il une sorte de règle non écrite qui interdisait aux détenteurs d’un certain type de carte de révéler des informations à d’autres possédant un autre type ? Natacha était quelque peu confuse.

Quoi qu’il en soit, il était clair que ces hommes ne voulaient pas qu’elle dévoile l’information. D’ailleurs, en regardant autour d’elle, elle remarqua les regards discrets lancés par d’autres personnes dans la pièce. Il était désormais clair pour Natacha qu’il y avait bel et bien une sorte de hiérarchie en ce lieu, une hiérarchie déterminée par les cartes qu’ils avaient en leur possession.

De retour chez mademoiselle Price, la jeune femme, qui n’appréciait clairement pas le comportement de ces personnes, proposa à Natacha d’aller discuter ailleurs, de préférence dans un endroit un peu plus tranquille. Cependant, au moment où elle se leva, le jeune homme assis à côté attrapa soudainement son bras.

  • Vous n’allez tout de même pas vous en aller ainsi ? On venait tout juste de faire connaissant.

Le geste qu’il venait de commettre était la goutte de trop pour Olivia. Elle était certes britannique et avait certes de bonnes manières comparées à celles des Américains, mais même pour elle, il y avait des choses qu’elle ne pouvait pas laisser passer. Toutefois, au moment où elle s’apprêtait à réagir, la porte de la salle d’attente s’ouvrit une fois de plus. Comme précédemment, un autre groupe de personnes vêtues comme eux entrèrent dans la pièce. Les employés qui les accompagnaient à ce moment en profitèrent alors pour faire passer une annonce.

  • Mesdemoiselles et messieurs, dans quelques minutes une collation vous sera servie. Nous invitons donc tous à prendre place à table.

La brusque apparition des nouveaux arrivants ainsi que celle des employées du manoir Lancaster calmèrent mademoiselle Price qui n’avait vraiment pas envie de faire un scandale devant toutes ces personnes. Elle avait tout de même une certaine image à tenir. La jeune femme se rassit donc, mais sans pour autant lancer un regard froid aux trois jeunes hommes qui l’avaient empêchée d’obtenir ce qu’elle désirait.

Tout le monde se mit donc à table, attendant avec une certaine impatience la collation qui avait été annoncée.

10h53

Alors qu’il était presque onze heures, un dernier hélicoptère finit son apparition au loin. Ce retardataire n’était nul autre que la personne avec qui Herman Invictus avait discuté quelques jours auparavant et également celle qui avait invité mademoiselle Price. Il ne s’agissait que du seul et unique David Linch, le meilleur ami de l’homme d’affaires. Lorsque le véhicule volant se posa sur la piste d’atterrissage, un homme blanc d’âge mûr mesurant plus d’un mètre quatre-vingt, vêtu d’un costume noir de marque, et accompagné par deux gardes du corps en sortit. Comme avec monsieur Invictus, il fut immédiatement accueilli par le majordome, Michel Ankou, ainsi que par plusieurs autres des employés du manoir Lancaster.

  • Nous n’attendions plus que vous, monsieur Linch.
  • Je suis vraiment navré d’arriver aussi tardivement, Michel. J’avais quelques affaires à régler, répondit-il.
  • Je vois. J’ose alors espérer que toutes vos affaires aient été mises en ordre.
  • Bien évidemment, dit monsieur Linch en souriant légèrement.
  • Excellent, monsieur. Avant de donner l’accès à nos locaux, comme le veut le protocole, je me vois dans l’obligation de vous demander de me présenter votre carte de membre.

Après ces quelques mots du majordome, l’homme sortit de la poche intérieure de sa veste une carte complètement noire sur laquelle son nom était écrit en rouge-sang. Les deux gardes du corps qui l’accompagnaient firent de même et présentèrent les leurs, marron avec des écrits noirs à l’occurrence.

  • Monsieur Linch, si vous voulez bien me suivre, rétorqua Michel.

Comme avec Herman Invictus, David Linch et Ankou se rendirent dans la salle de fête tandis que les deux gardes du corps partirent dans la partie du domaine qui leur était réservée.

Tandis qu’ils se déplaçaient dans l’un des couloirs, monsieur Linch ne put s’empêcher de demander à Michel comment les choses avançaient, ce à quoi il répondit qu’il était sur le point de commencer la phase de collation avec les « présents » tandis que du côté des membres, de somptueux déjeuners allaient bientôt leur être servis.

Au même moment, l’homme vêtu de noir se mit à penser à Olivia Price, la jeune femme qu’il avait invitée. Il se demandait notamment comment les choses se déroulaient pour elle. De ce qu’il avait observé le jour où il l’avait rencontrée et conviée à participer à cet évènement, il savait qu’elle était une femme prête à tout pour obtenir ce qu’elle désirait. De ce fait, il ne s’inquiétait pas trop pour elle, mais plutôt pour les personnes autour d’elle.

  • Ce genre de femme a tendance à créer beaucoup de problèmes quand tout ne se déroule pas comme elles le veulent, se dit-il.

David et Michel arrivèrent finalement dans la pièce dans laquelle se trouvaient Herman et tous les autres membres participants à la séance de dégustation. Lorsque les deux y entrèrent, tous les regards se tournèrent bien évidemment vers eux et la musique, qui était jouée par un petit orchestre spécialement choisi pour l’occasion, s’arrêta.

  • Mesdames et messieurs, mon ami, David Linch, est enfin présent parmi nous, rétorqua monsieur Invictus en se levant de son siège.
  • Je vous prie à tous de me pardonner pour mon terrible retard. Le monde de la finance n’est malheureusement pas de tout repos, dit-il en rigolant légèrement.
  • Pas besoin de t’excuser, David. Nous comprenons tous de quoi il en retourne, s’exclama une personne dans le public.

Tandis que Michel quittait discrètement les lieux, ayant à superviser tout le bon déroulement de cet évènement, monsieur Linch partit prendre place aux côtés de son ami, David Linch. À la table de ce dernier, se trouvaient d’autres noms de marque à savoir le propriétaire du domaine et grand nom de l’industrie du textile, Enrick Lancaster, l’héritière d’un des plus grands empires de l’énergie, Aurinda Allen, le patron de l’institution bancaire la plus importante du pays, voire du monde, Simon Morgan, et de grandes personnalités issues du domaine pharmaceutique, Alice Nicolay et Jennifer Homes.

Cependant, il avait beau regarder autour de lui, un personnage important semblait manquer à l’appel. Il ne voyait nulle part le mania des médias, David Wrightway Sr. Tout naturellement, dès l’instant où il prit place, il demanda à Herman pourquoi celui-ci n’était pas présent.

  • Il semblerait qu’il ait malheureusement eu un empêchement et ne pourra donc pas  être présent parmi nous avant quelques heures.
  • Dommage. Il risque de manquer la phase de mise aux enchères.
  • En parlant justement de ça, Herman s’est tout à l’heure proposé de lui prendre un ou deux présents, ajouta Aurinda.

Mesdemoiselles Homes et Nicolay ne purent s’empêcher de dire à quel point le geste d’Herman était généreux. Même David admit la même chose quelques secondes après, ce à quoi le concerné répondit que ce n’était pas grand-chose et qu’il ne faisait que témoigner son amitié envers Wrightway Sr.

A suivre !!!

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