La promotion 58

Michael avait les yeux rivés sur la montre du salon qui venait tout juste d’indiquer midi. Cela faisait bientôt deux heures qu’il s’était rendu au poste de police afin de reporter la voiture de Natacha comme étant volée, mais n’avait toujours reçu aucune nouvelle de leur part. Plus les minutes s’écoulaient et plus il avait l’impression que quelque chose de grave allait arriver à sa fiancée, et ce malgré la lettre qu’elle avait laissée. Il ne savait pas vraiment d’où lui venait ce pressentiment, sûrement parce qu’il avait décidé de mêler les forces de l’ordre à leur dispute de couple, mais quelque chose au fond de son cœur lui disait que ce serait le cas.

Le jeune homme attrapa son téléphone portable et saisit à nouveau le numéro de sa fiancée. Malheureusement, comme les dizaines de fois précédentes, il tomba sur le répondeur de Natacha. Cette situation l’énervait et l’inquiétait énormément. Non seulement il n’arrivait pas à rentrer en contact avec elle, mais même sa meilleure amie, Enola, ne parvenait pas à le faire.

Michael commença à douter de son implication dans cette histoire. Il était vrai que Natacha avait mentionné dans sa lettre qu’elle s’éloignait temporairement à cause de ce qui s’était passé entre eux au cours de la semaine, mais le fait d’être injoignable pendant plusieurs heures sans donner le moindre signe de vie n’était pas vraiment dans ses habitudes. Il était donc tout à fait normal pour que le jeune homme se demande ce qui l’avait vraiment poussée à agir de la sorte. Orzak retourna dans la cuisine ; endroit où il avait laissé la lettre de Natacha ; afin de relire ce qui était inscrit dessus.

Au moment où il arriva dans la pièce, son téléphone portable qui était resté dans le séjour se mit soudainement à sonner. Se disant qu’il s’agissait de sa fiancée, le jeune homme se précipita et décrocha sans prendre soin de regarder le nom qui était affiché sur son écran.

  • Natacha, tu es où ? Est-ce que tu vas bien ? Écoutes, je…, s’exclama-t-il.

La voix de Michael à cet instant était plus emplie d’inquiétude que de colère, ce qui témoignait des sentiments qu’il éprouvait pour mademoiselle Barnes lorsqu’il décrocha cet appel. Cependant, la personne qu’il avait à l’autre bout du fil n’était pas elle, mais son meilleur ami, Stanley Hopkins, qui l’interrompit peu de temps après qu’il ait commencé à parler.

  • Yo, du calme, mec ! Je suis pas ta petite femme. C’est moi, Stanley. J’appelle pour savoir comment tu te portes depuis hier, rétorqua-t-il.
  • Oh, Stan ! Désolé, je n’ai pas fait attention quand j’ai décroché.

Il était clair que Michael avait été quelque peu déçu lorsqu’il se rendit compte qu’il parlait à son meilleur ami. Cela aurait été beaucoup mieux si cela avait été Natacha à l’autre bout du fil. Cependant, il ne pouvait pas ignorer le fait que Stanley tombait à pic. Il serait à mesure de lui demander quelques suggestions sur comment gérer la situation dans laquelle il se trouvait, mais cela lui permettrait également, et ce dans une moindre mesure, de se changer les idées.

  • Y a pas de souci. Sinon, il se passe quoi avec Natacha ? demanda Hopkins.

Michael s’assit dans un des fauteuils du salon avant de raconter à son meilleur ami tout ce qui s’était passé après qu’il soit rentré chez lui la veille. Il lui parla notamment de la lettre que Natacha avait laissée derrière elle et du fait qu’il n’arrivait pas à la joindre depuis son départ. Il omit cependant le fait qu’il s’était rendu au poste de police le plus proche afin de signaler la voiture de Natacha comme ayant été volée.

  • Eh bien ! Ce n’est pas la joie chez toi…

À ce moment précis, le jeune homme fut très content d’avoir choisi de mener une vie de célibataire. Il ne s’imaginait pas se retrouver dans la même situation que Michael.

  • T’as essayé de voir avec son amie, Enola, pour voir si les deux ne sont pas rentrées en contact ? poursuivit Stanley.
  • À de nombreuses reprises, et elle aussi n’a aucune idée d’où Natacha se trouve. Toute cette histoire commence vraiment à taper sur le système. Tu sais quoi ? En ce moment, j’ai juste envie qu’elle rentre à la maison. Pas de dispute, rien de tout cela, juste qu’elle revienne.
  • Elle va revenir, mec. Tu n’as pas à t’en faire pour ça. Tu sais comment les femmes sont. Je parie que lorsqu’elle ne sera plus fâchée, elle va t’appeler et tu vas t’excuser afin d’arranger la situation.
  • Je sais pas. Cette fois-ci, c’est plutôt sérieux. Tu as vu la façon dont elle s’est comportée hier.

Alors que le jeune homme se remémorait la scène, il fut une fois de plus soulagé d’avoir choisi une vie de célibataire. Stanley dit à son meilleur ami qu’il n’avait pas trop à s’en faire, que la situation entre eux finirait par s’arranger et qu’ils retrouveraient même leurs vieilles habitudes de futur couple marié.

  • J’espère vraiment que tu as raison, rétorqua Michael.
  • Fais-moi confiance. En ce moment, je parie que Natacha est en train de penser à toi et à comment arranger la situation entre vous. Tu verras, tout ira pour le mieux.

Stanley n’avait à ce moment aucune idée que son intuition était très loin de la vérité.

12h07

Cela faisait plusieurs dizaines de minutes que toutes les personnes invitées par les membres de la séance de dégustation avaient fini de manger. La tension à la table de mademoiselle Barnes était toujours palpable, mais l’était moins qu’auparavant. À vrai dire, l’atmosphère s’était quelque peu adoucie. Et pour cause, la phase de mise aux enchères avait commencé depuis plusieurs minutes. Des employés du manoir Lancaster étaient à nouveau venus leur rendre une petite visite afin de leur expliquer comment les évènements suivants allaient se dérouler.

Chaque personne présente dans la salle serait appelée via le numéro qui était affiché sur le badge et serait ensuite invitée à défiler sur un podium qui avait été spécialement aménagé pour l’occasion. Elles devraient ensuite montrer leurs atouts afin d’attirer l’attention de potentiels membres. Il était donc tout à fait normal que plusieurs des jeunes gens assis dans la pièce soient contents. Ils allaient enfin prendre part à ce pour quoi ils étaient tous présents en ces lieux.

Ce n’était cependant pas le cas de mademoiselle Barnes. Bien au contraire, s’il avait une personne dans la pièce qui n’avait vraiment pas envie de se trouver à cet endroit, ce n’était nulle autre qu’elle. La jeune femme affichait l’expression d’une personne désemparée et désespérée. Elle fixait la table, mais sans vraiment y prêter attention. En effet, contrairement aux autres, Natacha ne le faisait pas vraiment de son plein gré. On pouvait même dire qu’elle assistait à cette séance de dégustation par peur des représailles qui auraient pu se produire si elle n’avait pas obéi à son patron.

De plus, lorsque monsieur Invictus l’avait invitée à participer à évènement, il avait clairement omis quelques détails importants sur l’évènement auquel elle participait. Si Natacha avait su qu’elle aurait été mise en vente à une enchère et qu’elle finirait entre les mains d’une personne autre que son patron, elle lui aurait proposé une alternative beaucoup moins humiliante. Mademoiselle Barnes aurait largement préféré se donner à Herman Invictus et faire tout ce qu’il aurait voulu sans broncher que de terminer dans le lit d’un parfait inconnu. Cependant, il était désormais trop tard pour faire machine arrière.

Mademoiselle Barnes devait donc se faire à l’idée que son corps serait souillé par une personne semblable à son patron. Non, il se pourrait même que cette personne soit pire que Herman Invictus. Alors que cette pensée lui traversait l’esprit, la jeune femme eut une soudaine envie de pleurer. Cependant, elle ne pouvait pas le faire. Elle ne pouvait pas afficher un moment de faiblesse devant les jeunes hommes et femmes qui se trouvaient autour d’elle. Natacha se retint donc, elle se retint de pleurer, et ce même lorsque l’image de Michael s’afficha dans son esprit.

Michael ! En pensant à lui, Natacha ne pouvait s’empêcher d’être désolée. Il n’avait fait que la soutenir et essayer de la protéger, mais la jeune femme s’était très mal comportée avec lui. Elle lui avait menti, lui avait crié dessus, l’avait insulté, l’avait accusé d’une chose qu’il n’avait pas commise, et l’avait enfin repoussé alors que tout ce dont il avait été coupable était d’avoir accompli son devoir de fiancé et de futur époux.

Mademoiselle Barnes se sentait coupable à tous les niveaux. Michael Orzak était l’une des personnes les plus importantes de sa vie, celui qui lui apportait du réconfort, celui qui lui faisait sourire, celui qui prenait soin d’elle lorsque cela était nécessaire, celui sur qui elle pouvait s’appuyer lorsqu’elle était triste ; du moins jusqu’à récemment ; et celui qu’elle aimait du plus profond de son cœur. Clairement, il ne méritait pas ce traitement. Plus Natacha pensait à lui et à tout ce qu’elle lui avait fait subir et plus son cœur se serrait, ce qui témoignait du haut niveau de culpabilité qu’elle ressentait.

12h30

La pièce était considérablement vide. Il ne restait plus qu’une dizaine de personnes présentes dont mesdemoiselles Barnes et Price. Les autres avaient déjà été appelés, et avaient déjà été mis aux enchères et acquis par certaines des connaissances de monsieur Invictus. Olivia avait le cœur qui battait fortement. La jeune femme était très excitée à l’idée d’être proche de son but à savoir dénicher un homme ou deux qui lui fournirait le train de vie dont elle avait toujours rêvé. Il suffisait qu’elle patiente encore quelques minutes et qu’elle mette en valeur tous ses atouts devant toutes ces personnalités « blindées » d’argent. Mademoiselle Price avait donc le moral remonté à bloc. Rien ni personne n’était en mesure de le lui saper, pas même la jeune femme qui était assise à côté et qui recommençait à jouer la « sainte nitouche ».

Moins d’une minute plus tard, la porte de la salle d’attente s’ouvrit de nouveau. Comme les fois précédentes, une des employées du manoir Lancaster rentra dans la pièce.

  • Numéro 54, veuillez me suivre ! s’exclama-t-elle.

Alors que les paroles de la jeune femme résonnaient dans la salle presque vide, Natacha se leva timidement de son siège. C’était finalement son tour de passer à la casserole. Elle affichait alors une expression morose tandis qu’elle marchait d’un pas intimidé vers la personne qui venait de l’appeler. Mademoiselle Barnes avait également le cœur lourd et se sentait comme si quelqu’un faisait pression contre sa poitrine. L’heure de vérité était enfin venue pour elle.

Les deux femmes sortirent de la pièce et empruntèrent un long couloir parsemé de divers tableaux et autres chefs-d’œuvre datant de la renaissance. Tandis que Natacha marchait derrière l’employée, elle ne put s’empêcher de se remémorer tous les évènements qui l’avaient conduite jusqu’à cet instant précis. Une fois de plus, elle se dit que si elle n’avait pas pris la décision de demander une augmentation à son patron, tout ceci ne se serait jamais produit et elle serait sûrement en train de profiter du week-end avec Michael. En parlant de week-end, mademoiselle Barnes se rappela également la promesse qu’elle lui avait faite, celle de passer un agréable moment en cette journée.

  • Pathétique ! s’exclama-t-elle à voix basse.
  • Pardon ! rétorqua à son tour l’employée qui l’avait entendue.

Natacha lui dit de ne pas prêter attention à ce qu’elle disait avant de s’excuser. La jeune femme avait par inadvertance laissé échapper son dégoût d’elle-même vis-à-vis des choix qu’elle avait eus à faire, mais également concernant la simple promesse qu’elle n’avait pas pu tenir.

Au bout de quelques dizaines de secondes, les deux femmes arrivèrent devant une petite porte qui débouchait directement sur l’estrade. L’employée fut la première à la franchir, mais s’arrêta juste devant, empêchant par la même occasion Natacha d’avancer. Ce ne fut que quelques instants plus tard, lorsque la voix de Michel Ankou retentit soudainement, qu’elle fut autorisée à avancer.

  • Mesdames et messieurs, nouveaux membres et membres fondateurs, c’est avec un immense plaisir que je vous présente le lot numéro 54, mademoiselle Natacha Barnes, rétorqua le majordome.

Tandis que l’homme tendait son bras vers la porte où se trouvaient les deux jeunes femmes, sa subordonnée s’écarta finalement et fit signe à Natacha d’avancer. Mademoiselle Barnes monta alors timidement sur l’estrade et se retrouva sous les feux des projecteurs.

Se retrouvant soudainement devant autant de monde qui la foudroyait du regard, Natacha ne put cacher sa gêne et sa nervosité. La jeune femme avait les mains moites et le cœur qui battait très vite. Elle voulait se couvrir, se terrer dans un coin, et disparaître. Elle avait l’impression que le cauchemar qu’elle avait fait quelques jours auparavant était devenu réalité, à la différence qu’elle n’avait pas une laisse autour du cou, qu’il n’y avait aucun photographe, et surtout que Michael n’était pas présent. Cela ne l’empêcha cependant pas d’être à l’affût d’une soudaine apparition de sa part.

Pendant qu’elle parcourait la foule du regard, son regard croisa celui de monsieur Invictus qui était assis très près de l’estrade. L’homme, qui appréciait énormément la vue, affichait un sourire presque enjoué. Il semblait ne pas soucier de ce qui pouvait arriver à Natacha ni même des ressentis de la jeune femme qui avait découvert la triste réalité de la séance de dégustation. Toujours avec le sourire aux lèvres, l’homme d’affaires murmura quelque chose l’oreille de Simon Morgan, l’homme assis à côté de lui. À ce moment, aucun mot n’était assez fort pour décrire la colère, le mépris, et le dégoût que Natacha Barnes ressentait envers cet individu.

Tandis que la jeune femme était focalisée sur son patron, le majordome la présentait aux autres membres participants à la séance. Il commença par leur dire son âge et son métier avant de dévoiler le nom de personne qui l’avait apportée dans les murs du manoir Lancaster et le type de carte qu’elle avait en sa possession. En entendant cela, beaucoup d’hommes dans la salle ne purent s’empêcher de fantasmer sur Natacha. Cette femme noire aux courbes sublimes qui se tenait debout devant eux avait été entraînée à assouvir tous les désirs de son « propriétaire ». De plus, à cause du caractère timide dont elle faisait preuve, nombreux étaient ceux dont l’esprit avait décollé telle une fusée, résultant au passage à quelques érections bien prononcées. Ils étaient donc tous prêts à payer le prix afin de l’obtenir.

  • Mesdames et messieurs, comme pour les lots précédents, la mise de départ est de dix millions de dollars, poursuivit le majordome.

Alors que Michel venait en quelque sorte de donner le top départ de la mise aux enchères de mademoiselle Barnes, un homme situé vers les dernières tables de la pièce leva soudainement sa carte d’enchérisseur tout en déclarant « 15 millions ». Il fut suivi moins d’une seconde plus tard par un autre individu qui réitéra le geste, mais proposa cette fois-ci 16 millions. Ce genre de scène se reproduisit encore et encore jusqu’à ce que la mise atteigne une pharaonique somme de 50 millions de dollars.

Bien qu’elle ait été très surprise par les montants que ces hommes étaient prêts à dépenser pour l’avoir dans leur lit, Natacha ne put s’empêcher de se dire qu’il s’agissait là d’argent jeté par les fenêtres. Ces sommes auraient pu servir à réaliser de grands projets ou à aider autrui, mais ils étaient malheureusement utilisés de la sorte.

  • Ils sont tous aussi méprisables que lui, pensa-t-elle.

Tandis que mademoiselle Barnes exprimait intérieurement son mépris vis-à-vis de toutes les personnes qui se trouvaient devant elle, ces dernières continuaient de miser sur elle. Toute la salle était vraiment en effervescence devant l’objet à acquérir, du moins une partie de la salle. En effet, si la majorité des hommes ; monsieur Invictus n’étant bien évidemment pas inclus ; était excitée à l’idée de s’emparer de Natacha, ce n’était pas le cas des femmes de la pièce qui ne trouvaient rien de vraiment spécial à la personne devant leurs yeux. Même mesdemoiselles Homes et Nicolay, qui avaient déjà rencontré mademoiselle Barnes à plusieurs reprises dans l’entreprise de monsieur Invictus, ne partageaient pas l’engouement de leurs collègues. On pouvait même dire qu’elles étaient quelque peu vexées.

  • De toute façon, elle n’est pas plus belle que moi, se dit Alice.

La mise en vente de mademoiselle Barnes se poursuivit donc, les montants proposés se rapprochant désormais des 80 millions de dollars. Alors que le majordome s’apprêtait à clore la mise, Simon Morgan, qui était resté silencieux jusqu’à présent, leva soudainement sa carte d’enchérisseur.

  • 100 millions de dollars ! s’exclama-t-il en même temps.

L’intervention soudaine du banquier en étonna plus d’un, d’autant plus qu’il s’agissait d’un bond considérable de plus de 20 millions.

  • 100 millions pour monsieur Morgan. Qui dit 101 ? 101 millions ? Personne…

Pendant que Michel Ankou cherchait un autre enchérisseur, Natacha se demandait ce que son patron avait derrière la tête. En effet, quelques instants avant que Simon surenchérisse, la jeune femme aperçut son patron murmurer quelque chose à son oreille. Elle savait donc que cette soudaine intervention cachait un motif autre qu’une simple acquisition.

  • 100 millions, une fois ! 100 millions, deux fois ! 100 millions, trois fois ! Vendu ! Le lot numéro 54 revient donc à monsieur Morgan. Félicitation pour votre acquisition, s’exclama le majordome.

Le banquier hocha légèrement la tête en signe de remerciement avant de détourner son regard vers mademoiselle Barnes. Cette dernière se sentit alors dégoûtée par cet homme aux cheveux blancs qui avait ses yeux rivés sur elle. Cet échange fut néanmoins bref, la jeune femme étant invitée à descendre de l’estrade. L’employée qui l’avait alors menée à la salle de fête la conduisit ensuite dans la pièce où la suite des évènements allait prendre place.

A suivre !!!

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