Alors qu’il marchait dans un des couloirs du Manoir Lancaster, Simon ne pouvait s’empêcher de penser à ce qui venait de se passer dans sa chambre. C’était la toute première fois de sa vie qu’il vivait une telle chose, qu’il rencontrait une femme qui était prête à perdre la vie pour ses convictions. Le vieil homme avait tout ce dont les gens normaux pouvaient rêver, de l’argent pour s’offrir n’importe quel bien matériel sur terre et du pouvoir pour influencer des sociétés entières. Cependant, malgré tout cela, il n’était pas parvenu à ébranler cette femme, à la faire renoncer à la vie qu’elle menait actuellement. Cela aurait marché sur n’importe quelle autre femme. D’ailleurs, elles se seraient volontiers données à lui juste pour le quart de ce qu’il lui avait proposé. Alors, pourquoi ça ne marchait pas sur elle ? Qu’est-ce qui pouvait justifier un tel entêtement de sa part ? Cette situation énervait énormément monsieur Morgan qui n’avait clairement pas l’habitude de vivre cela.
Le vieil homme, qui passait devant la chambre gardée d’un autre membre de la séance de dégustation, ne put s’empêcher d’entendre les gémissements et autres bruits qui provenaient de l’intérieur.
– Y’en a au moins un qui s’amuse, pensa-t-il à cet instant.
Monsieur Morgan continua sa route, ne prenant même pas la peine de lancer un regard à l’employé qui se tenait debout devant la porte. Sur le trajet le conduisant vers la salle de bal, le vieil homme tomba nez à nez avec Michel Ankou, le majordome du manoir dans lequel il se trouvait. Ce dernier remarqua immédiatement l’expression que Simon arborait et lui demanda poliment si tout allait bien.
– Tout se déroule à merveille, répondit-il.
Bien évidemment, il s’agissait là d’un mensonge. Le vieil homme était frustré vis-à-vis de sa situation avec mademoiselle Barnes. Cependant, il n’avait aucune envie que le majordome le sache. Ce fut pour cela qu’il détourna habilement le sujet de conversation en demandant si Herman se trouvait toujours dans la salle de bal.
– Je crains malheureusement que monsieur Invictus soit actuellement en pleine séance de dégustation.
– Qui d’autre y est alors présent ?
Michel mentionna alors toutes les personnes qu’il avait laissées dans la salle de bal. De ce que Simon venait d’entendre, la seule personne assez proche avec qui il pouvait converser n’était nulle autre qu’Alice. Le banquier remercia donc le majordome, ce à quoi ce dernier répondit que c’était un plaisir de lui venir en aide, et les deux hommes partirent chacun de leur côté.
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De retour dans la chambre, mademoiselle Barnes était toujours sur le lit et avait ses deux mains posées sur son cou. Elle avait du mal à croire qu’elle avait failli mourir quelques instants auparavant. Alors que l’idée même de ne plus faire partie du monde des vivants lui traversait la tête, la jeune femme imaginait toutes les réactions que cet évènement aurait pu susciter dans son entourage. Auraient-ils seulement été au courant de son assassinat ? Connaissant la personne de pouvoir qui aurait été responsable de son décès, il y aurait eu de fortes chances que cela ait été masque sous la forme d’un accident. Ils en étaient tous fort capables.
Alors que son regard se posait sur l’autre femme présente dans la pièce, Natacha prit une décision qu’elle estima être la meilleure chose à faire après cette terrible expérience de mort imminente. En effet, la jeune femme décida qu’elle démissionnerait une fois que toute cette histoire de séance de dégustation se terminerait. Il était certes vrai qu’en faisant cela, son patron, Herman Invictus, mettrait toutes ses menaces à exécution et que tous ses proches en subiraient les conséquences, mais c’était la seule solution viable qu’elle avait. C’était mieux pour elle de vivre misérablement que de risquer de perdre la vie dans un des jeux sadiques de personnes telles que Simon Morgan.
Un autre problème qui se poserait avec cette prise de décision serait sa relation amoureuse avec Michael. À cet instant, elle était tumultueuse à cause de tous les mensonges qu’elle avait proférés depuis le début de l’évaluation de monsieur Invictus. Il était donc clair pour Natacha que cette dernière prendrait un coup dévastateur s’il venait à apprendre la vérité. La réaction d’Orzak envers elle serait alors beaucoup plus intense que le fait de crier sur elle. Ce fut cette même réaction qui l’avait fait hésiter à de nombreuses reprises alors qu’elle s’apprêtait à lui dire ce qui se passait vraiment dans sa vie.
Sous le regard attentif de l’employée, la jeune femme se leva du lit et marcha en direction de la fenêtre de la chambre. Tandis qu’elle observait l’horizon et le soleil qui se couchait sans véritablement fixer quelque chose en particulier, les pensées qu’elle avait eues lors de son tout premier viol par Herman Invictus revinrent brusquement à la surface. En effet, en plus de se sentir souillée et dégoûtée, Natacha avait de nouveau des envies suicidaires. Mademoiselle Barnes se demandait à quoi cela lui servait de continuer à vivre si toutes les possibilités qu’elle entrevoyait à cet instant la conduisaient soit vers une totale solitude, soit vers une vie remplie de mensonges et de trahison.
– Ce serait mieux que je saute là maintenant pour en finir, laissa-t-elle alors échapper.
Ayant entendu ce qu’elle venait de dire, l’employée du manoir Lancaster s’avança doucement vers mademoiselle Barnes.
– Mademoiselle Barnes, veuillez s’il vous plaît vous éloigner du rebord de la fenêtre, dit-elle.
Parce qu’elle était littéralement dans son propre monde pensant aux conséquences de certaines actions qu’elle voulait entreprendre, Natacha n’entendit pas les propos de la femme derrière elle, ce qui poussa cette dernière à réitérer sa phrase en posant cette fois-ci sa main sur son épaule. Mademoiselle Barnes, qui sortit immédiatement après de son petit monde, réagit plutôt violemment en lui disant de ne pas la toucher.
– Je ne me répéterai pas. Mademoiselle Barnes, éloignez-vous du rebord de la fenêtre !
À ce moment précis, Natacha laissa échapper tout ce qu’elle avait sur le coeur.
– Tout ce que vous et ces gens friqués savez faire; c’est donner des ordres ! Mademoiselle Barnes par-ci, mademoiselle Barnes par-là ! Vous vous en foutez complètement des conséquences que vos actions ont sur la personne en question et sa vie en général ! Tout ce qui vous intéresse tous, c’est satisfaire vos foutus désirs sexuels… ! s’exclama-t-elle en retirant la main de l’employée de son épaule.
– Mademoiselle Barnes, calmez-vous !
– Non ! Je ne me calmerai pas ! J’en ai marre !
Voyant que Natacha reculait de quelques pas, l’employée n’eut nul autre choix que de passer à l’action. Elle saisit donc soudainement mademoiselle Barnes par le poignet et, sans que cette dernière ait le temps de réagir, la plaqua violemment contre le sol.
– Vous ne me laissez malheureusement pas le choix, rétorqua-t-elle.
Natacha ne comprit absolument pas ce qui venait de se produire. Un moment, elle était debout en train de hurler sur cette femme en costume de servant et l’instant d’après, elle se retrouvait plaquée au sol. Néanmoins, ce qui était sur était qu’elle avait mal. En effet, l’employée du manoir Lancaster lui tordait présentement le bras, ce qui força mademoiselle Barnes à hurler et à lui demander de la lâcher.
Tout d’un coup, la porte de la chambre s’ouvrit. Michel Ankou, le majordome entra dans la pièce et exigea des explications de la part de sa subordonnée. Attiré par les cris de Natacha, il avait décidé d’aller voir ce qui se passait, d’autant plus que son acquisiteur ne se trouvait pas dans la chambre. La femme se redressa alors, aidant également Natacha à faire de même.
– Monsieur, mademoiselle Barnes, ici présente avait l’intention de se jeter par la fenêtre. Ne voulant pas écouter mon ordre de s’éloigner de cette dernière, je me suis trouvée dans l’obligation d’intervenir, déclara-t-elle pendant que Natacha essayait de se libérer de son entreprise.
– Vous m’en voyez navré que vous en soyez arrivée à une telle extrémité, mademoiselle Barnes. Cependant, je me vois de vous rappeler que vous avez signé un contrat…
– Je n’en ai que foutre de votre contrat. Dites à votre larbin de me lâcher, elle me fait mal, rétorqua la jeune femme en interrompant brusquement le majordome.
Monsieur Ankou fit signe à sa subordonnée qui desserra alors son étreinte, mais ne relâcha pas Natacha pour autant. Ce n’était malheureusement pas ce que voulait la jeune femme qui leur demanda à être relâchée. Le majordome lui fit comprendre qu’elle devrait encore patienter avant de sortir un téléphone portable de la poche intérieure de sa veste et de composer un numéro.
– Chambre XX. Apportez-moi le dossier Barnes, dit-il avant de raccrocher.
Tandis qu’elle se demandait de quoi il s’agissait, Natacha se débattait toujours pour se tirer des griffes de la femme qui la tenait. Néanmoins, elle n’y parvenait pas, ce qui lui fit se demander comment elle pouvait être aussi forte.
Après quelques minutes d’attente, quelqu’un frappa de nouveau à la porte de la chambre. Lorsque cette personne rentra dans la pièce, mademoiselle Barnes se rendit compte qu’il s’agissait de la dame qui lui avait fait signer les clauses de confidentialité. Cette dernière tenait alors dans une de ses mains ce qui pouvait s’apparenter à une mallette. Cependant, Natacha découvrit peu de temps après qu’il ne s’agissait pas d’un porte-document, mais plutôt d’un ordinateur portable qui en avait l’apparence.
La dame ouvrit l’appareil et l’alluma devant le majordome, et celui-ci sortit de sa poche une carte bleue sur laquelle était inscrit son nom complet, Michel Ankou, dans une couleur argentée. Il l’introduisit ensuite dans l’ordinateur, ce qui le déverrouilla, et parcourut les fichiers qui s’y trouvaient avant de s’arrêter sur celui de la jeune femme.
– Comme je vous l’ai dit, vous avez signé un contrat, mademoiselle Barnes. Vous êtes donc tenue de respecter les clauses qui s’y trouvent, dit-il en lui montrant ce qui était affiché sur l’écran.
En voyant cela, Natacha fut complètement horrifiée. Devant ses yeux s’affichait un nombre incalculable d’informations sur ses proches. Cela allait de l’endroit où ils habitaient au métier qu’ils faisaient en passant par des données plus personnelles telles que leur numéro de compte ou celui de leur sécurité sociale. Et le tout était assorti de leurs photos les plus récentes.
– Voyez-vous, mademoiselle Barnes, nous ne lésinions pas sur les moyens afin de maintenir un cadre convivial et sécurisé pour nos distingués invités, que ce soit dans ces murs ou en dehors.
Natacha ne savait pas quoi dire. Les menaces de son patron n’étaient pas des paroles en l’air. Ces gens étaient vraiment capables de s’en prendre aux personnes qu’elle aimait. Voyant qu’elle s’était considérablement calmée, le majordome ordonna finalement à sa subordonnée de la relâcher, ce qu’elle fit immédiatement après.
– J’ose espérer que cet échange ait été bénéfique pour tout le monde ici présent et qu’aucun autre incident ne sera à déplorer, rétorqua Michel.
Avec ces quelques mots, l’ordinateur portable fut refermé et monsieur Ankou ainsi que la femme qui tenait l’appareil prirent tous deux la direction de la porte de sortie. Ils quittèrent ensuite la pièce, mais pas avant que le vieil homme souhaite à Natacha de bien profiter de la séance de dégustation. Se retrouvant de nouveau avec sa gardienne, mademoiselle Barnes se remit à pleurer, réalisant qu’il n’y avait plus aucune solution viable pour elle.
A suivre !!!