La promotion 69

Monsieur Morgan arriva dans la salle de bal où il trouva effectivement d’autres membres de la séance de dégustation, dont mademoiselle Nicolay. Cette dernière s’étonna alors de le voir revenir aussitôt. De plus, elle remarqua qu’il n’était pas exactement le même depuis leur dernière conversation. En effet, il lui semblait être de mauvaise humeur, ce qui lui fit se questionner sur la raison de ce changement. D’ailleurs, dès que le banquier prit place à sa table, elle lui demanda immédiatement après ce qui n’allait pas.

– Cette stupide femme m’énerve, répondit le vieil homme en prenant place dans son siège.

– Qui ? Natacha Barnes ?

– De qui d’autre pourrais-je parler ? Bien sûr qu’il s’agissait de cette négresse de femme…

Le banquier fit signe à un des employés présents de venir avant de lui demander ce qu’ils avaient comme boissons alcoolisées, précisant qu’il voulait quelque chose de très fort. Le jeune homme lui donna alors une liste de ce qu’ils possédaient, ce qui permit à monsieur Morgan de commander du cognac.

L’employé, sachant désormais ce qu’il devait apporter au banquier les laissa, mademoiselle Nicolay et lui, poursuivre leur conversation.

– Qu’est-ce qui a bien pu se passer avec la secrétaire d’Herman pour que tu commandes une boisson aussi forte ? questionna Alice.

– Je n’ai jamais vu une femme aussi entêtée de toute ma vie. Je lui ai tout proposé, de l’argent, un meilleur emploi, et j’en passe, mais elle refuse systématiquement de venir travailler pour moi. Est-ce que tu peux le croire ? Elle m’a refusé, moi, Simon Morgan, PDG de la plus grande banque du pays, voire du monde ! Comment ose-t-elle ?

Les propos de Simon étonnèrent quelque peu Alice, d’autant plus qu’elle avait beaucoup de mal à croire que cette simple femme du nom de Natacha Barnes avait pu refuser une proposition qui lui fournirait de meilleures conditions de travail. Certes, il y avait forcément un petit prix à payer concernant l’individu qui lui offrait le poste, mais cela n’était qu’un petit détail.

– Natacha Barnes… Je ne pensais pas que cette simple secrétaire était du genre à avoir un tel tempérament. Qui l’aurait cru ? Pourquoi n’en parlerais-tu pas avec Herman ? Je suis sûre qu’il serait à même de la convaincre de travailler pour toi.

– Hum…

Bien évidemment, le banquier ne pouvait absolument pas faire ce que lui proposait sa collègue et amie. Elle n’était pas au courant de l’accord secret que les deux hommes avaient passé, sa véritable tâche étant de briser psychologiquement la jeune femme. Cependant, les choses ne s’étaient pas déroulées comme prévu. Non seulement le vieil homme portait désormais un intérêt grandissant à l’encontre de mademoiselle Barnes, mais il s’était également trouvé dans l’incapacité de réaliser la simple tâche qu’on lui avait confiée. Pour Simon Morgan, un homme fier de sa position dans la société et de tout le pouvoir qu’il avait amassé, cela était tout simplement insupportable.

– Même si j’en parle avec Herman, je doute que cette femme vienne travailler pour moi de son plein gré.

– Il te suffit de trouver son point faible, une faille que tu pourras exploiter habilement. Les personnes comme Natacha en ont toujours plusieurs

– Pour ça, il faudrait d’abord les trouver.

– Tu n’as pas à t’en faire pour ça. Il suffit de le demander à Herman, elle travaille pour lui. Je suis sûre qu’après autant d’années, il a forcément réuni bon nombre d’information sur elle.

– Pas la peine de le déranger pour ça, je vais me débrouiller tout seul.

Le refus de Simon étonna une fois de plus mademoiselle Nicolay. Bien évidemment, cela était dû à l’accord que Herman et lui avaient passé, ce dont elle n’était absolument pas au courant. Cependant, après deux réactions similaires vis-à-vis de l’une des personnes qu’elle admirait le plus, Alice commença à se dire qu’il devait avoir quelque chose entre Morgan et lui, une chose qui l’obligeait à refuser toute aide de sa part. Était-ce de l’orgueil ou de la jalousie ? Peu importe ce que cela pouvait être, cela intéressant désormais la jeune femme qui se donna pour mission de découvrir de quoi il en retournait.

L’employé à qui Simon avait parlé au moment où il prit place à la table d’Alice revint avec un plateau sur lequel se trouvaient la bouteille de cognac qu’il avait commandé et le verre rempli de glaçons qui allait avec. Il déposa le récipient transparent devant le banquier avant de le remplir d’alcool.

– Tu peux laisser la bouteille, lui dit monsieur Morgan.

Le jeune homme s’excusa, puis demanda à mademoiselle Nicolay si elle désirait également quelque chose.

– Non, merci. J’ai tout ce qu’il faut avec moi, répondit-elle en pointant du doigt le verre à moitié vide qui était devant elle.

N’ayant donc plus rien à faire à leur table, l’employé s’excusa auprès d’eux avant de retourner vaquer à ses diverses occupations.

18h26

Pendant que le banquier se plaisait d’elle auprès de mademoiselle Nicolay tout en vidant son verre de cognac, Natacha était à genoux dans sa chambre. Elle pleurait abondamment, ce qui eut pour conséquence de ruiner son maquillage. Après ce qui s’était passé avec Michel Ankou, le majordome du manoir Lancaster, la jeune femme avait perdu toute envie de mettre un terme à ses jours. Comme elle avait malheureusement pu le constater, ces personnes possédaient énormément d’informations sur ses proches et elle. De ce fait, elle n’était pas certaine si se suicider permettait de régler cette histoire pour de bon.

Quelqu’un frappa soudainement à la porte de la chambre. Mademoiselle Barnes pensa à ce moment qu’il s’agissait du majordome qui revenait. Elle se demanda alors pourquoi c’était le cas. Qu’avait-il de plus à lui dire afin de l’enfoncer encore plus ? Pendant qu’elle se posait toutes ces questions, l’autre femme présente à ses côtés, celle qui l’observait depuis le début, alla ouvrir la porte.

Il s’avéra alors que ce n’était pas Michel Ankou qui revenait les voir, mais plutôt une autre employée des lieux. Cette dernière, qui tenait dans ses mains une boîte en carton similaire à celle que Natacha avait trouvée lorsqu’elle était montée dans la voiture de son patron au moment de se rendre au manoir, vint leur dire que l’heure du dîner approchait à grands pas et que mademoiselle Barnes devait donc se préparer.

– Se préparer pour ? se demanda Natacha à cet instant.

La jeune femme avait toutes ses raisons de s’interroger. Depuis cette fatidique soirée de lundi, elle n’avait fait qu’être désagréablement surprise par monsieur Invictus et tous ses acolytes. Cela avait commencé avec la vraie nature de son patron jusqu’à la découverte de cette séance de dégustation et ses ignominies. À cause des noms que ces gens donnaient à leurs évènements, mademoiselle Barnes ne savait donc pas ce qui l’attendait. Cela pouvait très bien être un simple dîner ou être quelque chose de beaucoup plus malsain. Quoi qu’il en soit, elle n’avait pas envie de leur découvrir. Mais en avait-elle vraiment le choix ?

Accompagnée de la personne qui venait de rentrer dans la chambre, l’employée qui était chargée de surveiller Natacha s’approcha d’elle et lui demanda de la suivre.

– Où allons-nous ? questionna la jeune femme.

– Dans la salle de bain. Vous devez être présentable pour la séance de dîner, répondit-elle.

Mademoiselle Barnes fut donc forcée à se relever avant d’être conduite dans la salle de bain. Là, elle fut ensuite invitée à prendre une douche afin de se débarrasser de toutes les impuretés qu’elle avait accumulées durant son entretien avec monsieur Morgan.

Natacha était extrêmement hésitante à l’idée de faire ce qu’on venait de lui ordonner. Non seulement il y avait le fait qu’elle ne savait toujours pas ce qu’ils entendaient tous par « dîner », mais elle était également très gênée par le comportement de la femme qui l’accompagnait présentement. En effet, cette dernière ne lui donnait absolument pas l’impression qu’elle allait sortir de la pièce. Cela voulait donc dire qu’elle comptait rester auprès de Natacha jusqu’à ce que celle-ci ait fini de prendre sa douche. L’idée même de faire cela devant une tout autre personne que Michael ne l’enchantait guère. Malheureusement, il était clair qu’elle n’ait pas son mot à dire dans cette histoire.

Mademoiselle Barnes retira donc le seul vêtement qu’elle portait encore à ce moment, à savoir sa nuisette, puis se rendit sous la douche où elle commença à se nettoyer sous le regard très attentif de son garde du corps.

—–*—–

De retour dans la salle de bal, Simon se trouvait toujours auprès d’Alice. L’homme, dont la bouteille de cognac était désormais vide à son quart, continuait de se plaindre de Natacha Barnes auprès de la jeune femme. D’ailleurs, il parlait tellement d’elle que cela commençait à énerver son interlocutrice qui ne put s’empêcher de se demander s’il n’avait pas un autre sujet de conversation. Elle avait compris que la secrétaire d’Herman n’avait pas agi comme son ami l’avait voulu et espéré, mais cela ne justifiait en aucun cas le fait qu’il parle d’elle en permanence depuis son arrivée à table. N’avait-il pas autre chose de plus important dans sa vie dont les deux pouvaient discuter ?

À mesure que les minutes s’écoulaient, plus la frustration de mademoiselle Nicolay augmentait. Même si cela ne s’affichait pas directement sur son visage, sa gestuelle témoignait de son état émotionnel. Par exemple, lorsque cette dernière se servit une nouvelle coupe de vin, elle serra son verre si fort que celui-ci était à la limite de se briser dans sa main. Bien évidemment, son interlocuteur ne remarqua pas tous ces signes et poursuivit sa série de plaintes. La jeune femme finit même par se dire que si elle entendait le nom de cette secrétaire sortir une fois de plus de la bouche de ce vieux banquier, elle finirait par exprimer tout son ressenti.

Heureusement pour Alice, cela ne se produisit pas. En effet, peu de temps après avoir eu cette pensée, leur ami commun, Herman Invictus, fit son retour dans la salle de bal. Celui-ci avait troqué son peignoir pour son ancienne tenue. Mademoiselle Nicolay, qui fut la première à le remarquer, s’adressa immédiatement à Simon afin qu’il se taise.

– Regarde qui arrive. Tu pourras enfin lui demander les points faibles de sa secrétaire afin de les exploiter.

Lorsque Simon se retourna et vit que Herman se dirigeait vers leur table, il ne put cacher son mécontentement et toute la frustration qu’il ressentait vis-à-vis de mademoiselle Barnes s’accentua. Pourquoi cette femme acceptait-elle de rester auprès de quelqu’un comme lui alors qu’il lui offrait beaucoup plus ? Qu’avait-il de plus de que lui ? Était-ce parce qu’il était plus jeune ? Il était vrai que Herman avait douze ans de moins que lui, mais cela ne changeait rien au fait que ce n’était qu’un simple patron d’entreprise tandis qu’il contrôlait toute une banque. Cet homme n’était rien devant et sans lui.

Au moment où Herman arriva à la table d’Alice et Simon, il leur demanda pourquoi ils étaient encore tous les deux vêtus de leur peignoir.

– La phase de dîner va débuter d’ici peu, poursuivit-il.

– Qu’est-ce que tu racontes, Herman ? La séance de dégustation vient à peine de commencer, rétorqua le banquier.

Il leur montra ensuite son téléphone portable sur lequel l’heure était affichée. Ce fut à ce moment que les deux constatèrent que, non seulement il avait raison, mais qu’ils étaient littéralement les seuls présents dans la salle de bal qui étaient encore vêtus de la sorte. Alice en voulait un peu à Simon pour cette situation. Elle se dit que si elle n’avait pas été aussi focalisée sur son histoire avec cette Natacha Barnes, elle aurait sans doute remarqué que l’heure du dîner approchait.

– Vous feriez mieux d’aller vous changer pour la suite.

Alors que le vieil homme se levait de son siège, Alice lui demanda brusquement s’il ne voulait plus poser les questions concernant Natacha Barnes à Herman maintenant qu’il était parmi eux. À cet instant, le regard du banquier se tourna immédiatement vers cette femme tandis qu’il la maudissait à cause de son indésirable intervention.

– Tu as des questions concernant mademoiselle Barnes à me poser, Simon ? De quoi s’agit-il exactement ?

– Ce n’est rien de très important. Juste quelques broutilles concernant cette femme, répondit Simon.

– Ce n’est pourtant pas ce que tu disais il y a encore quelques dizaines de minutes…, intervint de nouveau Alice.

Après cette nouvelle intervention, Simon ne fit que dire intérieurement à cette femme de la fermer. Il lui hurlait sans cesse dessus dans son for intérieur, le tout en maintenant ses allures de personnes civilisées.

– Tu disais que tu…

– Que je n’avais pas réussi à respecter notre accord, du moins pas en totalité. Elle sait à quelle classe sociale elle appartient et sait également ce qu’elle a à faire, ce qui est déjà un bon début. Maintenant, si tu veux l’arracher à la personne qu’elle aime, je crains que cela risque de s’avérer très difficile. Je verrai quoi faire à propos de ça après le dîner, dit le banquier en interrompant mademoiselle Nicolay.

– Je vois. Ce n’est pas grave si tu n’as pas réussi à la briser totalement. Je te remercie d’être parvenu à faire. Concernant son fiancé, il ne représente en aucun cas un obstacle, tu n’as pas à t’en faire pour ça.

Durant ce bref échange entre les deux hommes, Alice apprit des choses fortes intéressantes. Tout d’abord, elle découvrit que Herman et Simon avaient passé une sorte d’accord afin de briser davantage la secrétaire. Cela lui fit comprendre pourquoi le banquier avait soudainement participé à cette bataille durant la phase de mise aux enchères, d’autant plus qu’il n’avait pas semblé s’intéresser à elle au départ. Tout ceci était dans le but qu’une personne avec qui il avait des affiliations l’acquière, Invictus ne pouvant le faire lui-même à cause de leurs règles.

Ensuite, ce qui la choqua le plus dans ce qu’elle venait d’apprendre était le fait que Herman couchait ou comptait coucher avec une de ses secrétaires. Sinon, pourquoi se donnerait-il autant de mal ? Il n’y avait pas à dire, cette nouvelle ne plut absolument pas à Alice. Certes, elle n’était ni sa femme ni sa maîtresse, mais cela ne changeait rien au fait qu’elle n’aime pas ça. Natacha travaillait directement pour lui, ce qui voulait dire qu’ils voyaient pratiquement tous les jours et pouvaient donc le faire tous les jours. C’était inadmissible.

– Bon, trêve de bavardage. Dépêchez-vous d’aller vous préparer, rétorqua Herman.

Éjectée de ses pensées par l’intervention d’Herman, Alice se leva à son tour de son siège. Simon et elle prirent ensuite la direction de leur chambre respectivement tandis que l’un se promettait de se venger de l’autre, et l’autre pensait à se débarrasser d’une troisième personne.

A suivre !!!

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