Tout le monde venait enfin de finir leur petit-déjeuner. Tandis que les employés du manoir Lancaster débarrassaient progressivement les tables, Natacha se demandait ce qui les attendait après ça. Elle était fatiguée de toute cette histoire de séance de dégustation et d’être aux côtés de ces gens à la moralité douteuse. Tout ce qu’elle souhaitait désormais était de rentrer chez elle et d’oublier tout ce qu’elle avait vécu depuis son arrivée en ces lieux. Cependant, la jeune femme savait qu’elle ne serait jamais en mesure d’oublier. Elle avait beaucoup trop subi, les fellations et pénétrations forcées, les abus, et l’humiliation, tout son être ne lui permettrait jamais d’effacer tout ça de sa mémoire.
En plus de cela, Natacha travaillait toujours pour Herman Invictus, l’instigateur de toute cette histoire. Elle allait de toute façon le revoir la semaine suivante au bureau, lui et son sourire narquois qu’il affichait souvent, un sourire qu’elle détestait désormais. Cette personne qu’elle admirait jadis était devenue le cauchemar vivant de sa vie, cet homme qui, chaque fois qu’elle le croiserait, lui rappellerait tout ce qu’elle avait subi, mais également tout ce qu’elle risquait de perdre. À cause de lui, elle serait dans l’incapacité d’oublier. Il avait laissé une tache indélébile sur son être, une marque qui jamais ne s’en irait.
Plus la jeune femme réfléchissait à la position dans laquelle elle se trouvait et plus elle avait l’impression que son cauchemar ne s’arrêterait jamais. Ces personnes de pouvoir ne semblaient pas être du genre à laisser une femme comme elle s’en aller sans en demander plus. Elle avait bien vu le comportement de Simon Morgan. Il lui avait proposé à de nombreuses reprises de démissionner et de le rejoindre dans sa société. Même si elle avait refusé maintes fois, cela ne voulait absolument pas dire qu’il allait s’arrêter là. Il emploierait sûrement diverses tactiques pour obtenir ce qu’il veut.
Et pour ne rien arranger du tout, Barnes craignait… non, elle était certaine que le banquier ne serait pas le seul à agir de la sorte. Elle avait vu réaction de ces hommes durant la phase de mise aux enchères. Plusieurs s’étaient battus pour essayer de l’obtenir, mais seul Simon Morgan était parvenu à le faire. Cela disait donc à Natacha qu’un grand nombre de ces personnes avaient également leurs yeux rivés sur elle, et dans ce tas, certains tenteraient sûrement de l’approcher afin d’obtenir ses faveurs.
Natacha n’avait pas envie de mener ce genre de vie, d’autant plus que son grand jour était dans quelques mois. À ce moment, l’image de Michael s’incrusta de nouveau dans l’esprit de la jeune femme. Que penserait-il d’elle s’il venait à apprendre tout ce qu’elle avait fait ? Même s’il l’aimait, elle était certaine qu’il ne lui pardonnerait jamais. Le coeur de Barnes se serra de nouveau tandis qu’elle imaginait la réaction de son fiancé. Elle avait alors de verser des larmes, mais fit de son mieux pour se retenir. Toutefois, une réussit à s’échapper et à glisser le long de son visage, ce qui poussa Natacha à l’essuyer, mais attira également l’attention de quelques personnes se trouvant à sa table.
– Est-ce que tout va bien ? demanda un jeune homme assis à côté d’elle.
– Oui, tout va bien, répondit-elle.
Parmi toutes les personnes assises à sa table, une seule en avait plus qu’assez de la façon dont elle se comportait ; et cette personne n’était nulle autre que Olivia Price. En effet, cette dernière avait de plus en plus de mal à supporter Natacha et ses airs de sainte nitouche. Elle avait alors envie de lui sauter dessus afin de lui donner une très bonne correction, cependant, ce n’était pas vraiment quelque chose qu’elle pouvait se permettre de faire. Ils étaient tous dans un lieu de haut standing, de ce fait, ils devaient tous afficher un caractère propre à l’environnement dans lequel ils se trouvaient. Toutefois, être dans un lieu de luxe et de prestige ne signifiait pas qu’elle pouvait continuer de tolérer des comportements comme celui de Natacha.
Mademoiselle Price décida alors de changer de place et d’aller s’asseoir à une table avec des personnes au comportement moins irritant, mais au moment où elle s’apprêtait à le faire, les portes de la salle s’ouvrirent brusquement. Un groupe d’une dizaine d’employés du manoir entra ensuite dans la pièce avec à sa tête la femme qui avait fait signer le contrat de confidentialité à Natacha. Bien évidemment, leur soudaine apparition attira l’attention de toutes les personnes présentes y compris mademoiselle Barnes qui se demanda ce que cet endroit lui réservait encore comme supplice.
Après avoir demandé à tout un chacun s’ils avaient trouvé leur petit-déjeuner à leur goût, la femme invita toutes les personnes présentes à les suivre, son groupe et elle. Natacha, Olivia, et tous les autres quittèrent donc la salle avec les employés et partirent vers une destination inconnue. Pendant leur petit trajet, mademoiselle Price prit soin de rester le plus loin possible de Barnes, ne voulait absolument pas être près d’elle de peur de s’en prendre à elle. Après moins de deux minutes de marche, le groupe arriva devant une porte à double battant qui était familière pour beaucoup d’entre eux.
– Écoutez très attentivement. Une fois que ces portes s’ouvriront, vous irez silencieusement vous placer à côté de votre acquisiteur et ne parlerez que lorsque la parole vous sera donnée. Me suis-je bien fait comprendre ?
Chacun répondit à sa façon. Certains dirent « oui » tandis que d’autres se contentèrent de hocher la tête. Quelques-uns comme Natacha demeurèrent silencieux, ne trouvant rien à redire. Tout le monde attendait désormais que les portes s’ouvrent.
—–*—–
Assis à table aux côtés de ses connaissances, Herman et son groupe prenaient également leur petit-déjeuner. L’homme était plutôt silencieux, ne participant que très peu à la conversation. Et pour cause, il réfléchissait toujours un moyen de gérer Simon Morgan. La tâche n’était point facile, le banquier étant aussi puissant, voire plus puissant que lui. Dans ce jeu de pouvoir, la moindre erreur risquerait d’entraîner des conséquences extrêmement désagréables. Rien que de penser à tout ce qu’il avait à faire était suffisant pour lui causer des maux de tête, d’autant plus que cette situation n’aurait jamais dû voir le jour.
Le rôle de Simon aurait dû s’arrêter à faire comprendre les réalités de leur société à mademoiselle Barnes, pas de tomber sous son charme. Certes, la jeune femme disposait de bon nombre d’atouts naturels, mais cela ne changeait rien au fait qu’il aurait dû la considérer comme un simple jouet.
– Un jouet, pensa-t-il.
À ce moment, l’image de deux garçons se disputant un jouet dans une cour de récréation se manifesta dans l’esprit d’Invictus, ce qu’il trouva plutôt cocasse. Herman ne put alors pas s’empêcher de rigoler légèrement, ce qui attira l’attention de mademoiselle Nicolay qui était assise à côté de lui.
– Herman, comment peux-tu ça drôle ? lui dit-elle soudainement.
– Pardon !? Ai-je fait quelque chose d’inapproprié ?
– Oui, en effet. De toutes les personnes assises à cette table, je ne m’attendais pas à ce que tu sois celui qui puisse rire de ma détresse.
L’homme avait passé tellement de temps à réfléchir qu’il n’avait pratiquement pas suivi la conversation qui se tenait à sa table. De ce fait, il n’avait absolument aucune idée de ce qui s’était dit, mais s’excusa tout de même auprès de la jeune femme pour sa réaction inappropriée.
– Tu n’as pas besoin de t’excuser, Herman. Elle fait juste ça pour attirer ton attention, rétorqua soudainement Jennifer.
– Jennifer, je ne me souviens pas avoir demandé ton avis. Tu ferais mieux de t’occuper de ce qui te regarde.
– En partageant ton histoire à cette table, tu as justement autorisé tout le monde à s’en mêler. N’ai-je pas raison, Herman ?
L’homme resta silencieux face à cette question, ne voulant surtout pas se mêler de cette affaire et prendre le parti de quiconque.
– Si tu ne voulais aucun commentaire de notre part, tu n’aurais jamais dû dévoiler ce genre d’informations.
– Même si j’ai partagé cela avec tout le monde ici présent, je ne vois pas en quoi ton commentaire était pertinent, d’autant plus que je ne m’adressais pas à toi, mais à Herman…
– Qui a sans doute mieux à faire qu’écouter les plaintes d’une femme vis-à-vis de sa mauvaise acquisition de la veille. Lorsque tu as décidé de miser sur ce jeune homme, tu l’as fait en connaissance de cause.
Alice resta silencieuse un moment, résistant à l’envie de sauter sur cette femme et de lui donner une bonne leçon.
– Jennifer, j’ai en effet acquis ce jeune homme en connaissance de cause, mais cela me donne également le droit de critiquer ses performances. Avant tout, nous sommes tous ici pour passer un bon moment, c’est le principe même de cet évènement. Donc, si tu n’es pas à même de comprendre ça, alors tu aurais dû investir dans un nouveau cerveau au lieu de ces airbags bon marché qui te servent de poitrine.
– Qu’est-ce que tu viens de dire ?
– Ah ! Aurais-je heurté un point sensible ? rétorqua mademoiselle Nicolay après avoir siroté un peu de son jus de fruits.
La tension entre les deux femmes s’accentua très rapidement, obligeant ainsi Wrightway Sr à intervenir en leur disant que ce n’était ni le moment ni le lieu de s’adonner à ce genre de futilité. Telles des filles qui venaient d’être sermonnées par leur père, les deux jeunes femmes se calmèrent temporairement. De leur côté, les autres personnes assises à leur table ne purent s’empêcher de rire devant la discussion d’Alice et Jennifer. Même Herman qui tentait tant bien que mal de cacher sa réaction trouva cela plutôt divertissant, du moins jusqu’à ce que son regard croise celui du banquier.
En le voyant, Invictus se rappela du problème qu’il devait désormais gérer. Néanmoins, il était curieux de savoir lequel parmi eux deux serait celui qui sortirait de cette situation avec le titre de vainqueur. Il fallait dire que le banquier était un adversaire de taille et que cela faisait très longtemps qu’il avait été en face de quelqu’un de sa trempe.
Pendant que tout le monde profitait de son petit-déjeuner, Michel Ankou, le majordome du manoir, fit soudainement son apparition sur l’estrade de la salle, portant ainsi toute l’attention du public sur lui.
– Mesdames et messieurs, chers illustres invités, de la part de notre hôte et de notre coordinateur…
À ce moment, Herman Invictus et Enrick Lancaster se mirent tous les deux debout et levèrent leur verre en direction de la foule.
– Nous tenons à vous présenter nos sincères remerciements pour l’honneur que vous nous faites d’être présent parmi nous. La séance de dégustation, comme vous le savez tous, est un évènement qui a d’abord été créé afin de permettre à ses membres de passer un moment de détente loin de tout, mais également pour établir des connexions…
Les portes de la salle s’ouvrirent soudainement, laissant ainsi entrer tous les cadeaux que les membres avaient apportés avec eux. Ces derniers vinrent ensuite se mettre debout à cadeau de leurs acquisiteurs, ce qui donna lieu à des expressions majoritairement positives. Seules Natacha Barnes et Alice Nicolay étaient les seules personnes à ne pas être très contentes de se retrouver aux côtés du banquier et de son acquisition.
Au moment où Herman aperçût sa secrétaire, il ne put s’empêcher d’être fier de la transformation qui s’était opérée chez la jeune femme. En effet, quelques jours auparavant, Natacha affichait encore un esprit combatif et une lueur d’espoir brûlait encore dans ses yeux. Mais dorénavant, tout cela avait disparu et la jeune femme semblait être beaucoup plus docile. Dès lors, l’homme était impatient de la revoir au travail la semaine suivante, s’imaginant tout ce qu’il allait lui faire.
De son côté, Simon Morgan détestait le fait que cette femme qui se tenait debout à côté de lui allait retourner auprès d’Herman. Il savait que ce dernier allait profiter de ses atouts tous les jours et il n’avait malheureusement aucun moyen d’empêcher cela. Il avait eu beau lui proposer de venir travailler pour lui, Natacha avait refusé à chaque fois. Il se demanda alors pourquoi ? Pourquoi acceptait-elle de retourner auprès de l’homme qui l’avait vendue au lieu de venir chez lui qui pouvait lui apporter un meilleur avenir ? Qu’avait-il de plus que lui ? Était-ce à cause de son apparence ? Il était certes vrai que Herman était attrayant, mais le banquier l’était également. Certes, Invictus était beaucoup plus jeune que lui, mais ça s’arrêtait uniquement là. S’il avait eu quelques années en moins, Simon était certain que son niveau d’attractivité aurait été égal, voire supérieur à celui de cet homme d’affaires.
– Quant à vous, jeunes gens, j’ose espérer que vous avez conscience de la chance que vous avez de traiter avec ces illustres invités ainsi que les responsabilités qui vous incombent…
À ce moment, Natacha ne put s’empêcher de penser que le majordome du manoir Lancaster racontait n’importe quoi. Quelle chance avait-elle ? Dans son cas, il devait plutôt parler de malchance. Il n’y avait aucun avantage pour elle de traiter avec ces gens. Ils étaient tous plus pourris les uns par rapport aux autres en commençant par son patron. Il était donc le coordinateur de cet évènement ? Cela ne l’étonnait guère. L’homme lui avait montré à quel point la vie des autres n’avait aucune importance à ses yeux. Herman Invictus, l’homme qu’elle admirait par le passé, n’était nul autre qu’un monstre, quelqu’un qui demeurait au sommet de la société, mais méritait d’être au plus bas.
– Et sur ce, mesdames et messieurs, je vous invite à profiter pleinement de l’épilogue de cette séance.
Venant de terminer son long monologue que mademoiselle Barnes eut du mal à suivre dans son ensemble, Michel descendit de l’estrade et se rendit auprès d’Enrick Lancaster. Pendant ce temps, la plupart des invités demandèrent aux employés de reconduire leurs présents dans les chambres, ce qui ne fut pas le cas de Simon qui fut premièrement abordé par Herman qui voulut s’entretenir avec sa secrétaire. Sans rechigner, le banquier leur laissa la place, permettant ainsi au deux de discuter.
– Mademoiselle Barnes, j’ose espérer que votre séjour au manoir Lancaster ait été très instructif. Comme vous avez pu le constater, afin d’obtenir quelque chose dans la vie, quelque chose d’autre doit être sacrifié en retour. Que ce soit notre temps, notre énergie, ou dans votre cas, notre corps, il y a toujours un prix à payer. Quoi qu’il en soit, vous avez dûment gagné votre promotion. Mes félicitations, mademoiselle Barnes.
Natacha n’eut même pas la force pour le regarder avec mépris dès qu’il commença à parler. Elle n’en avait que faire de cette maudite promotion qui avait détruit sa vie et laissé une marque indélébile sur son être. Tout ce qu’elle voulait à ce moment était de rentrer chez elle. Heureusement pour elle, l’homme poursuivi en lui disant qu’il allait de ce pas contacter son chauffeur, Gordon Botle, afin que ce dernier la reconduise au bureau.
– Et pour monsieur Morgan ?
– Je vais me charger de lui. Vous n’avez pas à vous en préoccuper. Concentrez-vous uniquement sur le reste de votre week-end. Demain soir, vous et moi avons beaucoup de travail à faire, rétorqua-t-il avant de se diriger vers le banquier.
Alors qu’elle l’observait s’éloigner de plus en plus, Natacha se rendit compte que ce qu’elle avait tant redouté était en train de se réaliser. Herman Invictus ne comptait absolument pas s’arrêter d’abuser d’elle. Elle se sentit alors prise au piège, condamnée à subir les caprices malsains de cet homme. À ce moment précis, des larmes s’écoulèrent le long de son visage, marquant ainsi sa perte d’espoir et sa descente dans un gouffre dont elle ne voyait pas le fond.
A suivre !!!